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qui paraissent en si grand nombre sur les moyens d’action et sur la conduite de la guerre future. La nation qui s’envelopperait ainsi dans des bandelettes perdrait le mouvement et la vie. Il y a tant d’yeux qui ne voient pas, qu’il faut marteler les esprits pour en faire jaillir l’étincelle ! Il semble que l’idée simple et nette soit entourée d’une gaine qu’elle ne peut rompre sans un violent et douloureux effort.

L’heure est donc venue d’annoncer la solution nouvelle et de la pousser en avant par le moyen de cette force qui entraîne les volontés sans garantir que la direction soit bonne, et qui s’appelle l’opinion publique. L’acte de responsabilité restera entier ; mais il est à la hauteur de l’honneur et de la force qui peuvent en résulter pour le pays.

L’étude qui va suivre sera divisée en deux parties.

Nous définirons dans la première partie le nouveau bâtiment de combat à assiette invariable, à tonnage réduit, sans faire une incursion inutile et mal placée sur le domaine de l’ingénieur et en restant dans celui de l’officier de vaisseau qui ne reçoit pas passivement l’instrument qu’il doit conduire au feu et qui croit au contraire de son devoir d’échanger ses idées avec les ingénieurs qui le construisent. On verra que cette fortune fut réservée dans une large mesure à l’auteur de ces notes.

Dans la seconde partie, nous exposerons les modifications qu’un nouvel instrument de combat ne peut manquer d’apporter dans la préparation et dans la conduite de la guerre sur mer, pour les trois principales hypothèses de l’état de l’ennemi.


I. — LE BATIMENT DE COMBAT.

Lorsqu’on pénètre dans notre premier arsenal de constructions navales et d’expériences d’artillerie, on aperçoit près de la grande scierie les plaques de blindage qui proviennent du champ de tir de Gâvres ; il en est qui mesurent 0m,30 et 0m,40 d’épaisseur ; les unes sont traversées de part en part, les autres portent encore dans leur masse le projectile qui s’y est engagé sans pouvoir en sortir ; — les plus fortes plaques, celles de 0m,55, sont à Gâvres. — A rencontre des manifestations de la force, quand il s’agit de la guerre, l’esprit n’est pas satisfait par la vue de ce déploiement dans la défense. On sent qu’on est en présence de quelque chose d’excessif, d’une sorte de folie furieuse qui s’obstine et qui ne veut plus s’arrêter. On se demande comment un corps flottant pourra, sans sombrer, porter cette énorme armure ; on entrevoit quelque Léviathan malhabile à se mouvoir ; on doute enfin