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doit pouvoir conserver, pendant tout le temps de l’action, des lignes d’eau invariables, afin que ses facultés de giration et que les rapports de distance de son artillerie à la flottaison demeurent intacts.»

Il y a, en effet, une insubmersibilité de bâtiment de guerre et une insubmersibilité de navire de commerce.

Un paquebot des Messageries maritimes a pu, à la suite d’une collision en pleine mer, continuer sa route du Japon en Chine lorsque son avant était emporté et son premier compartiment défoncé. C’était l’insubmersibilité commerciale. — Un cuirassé, touché par l’éperon d’un autre cuirassé, coulant bas d’eau, a pu atteindre, en flottant encore pendant une heure et quart, le point où il s’est volontairement échoué, bien que ses deux compartimens de l’avant fussent envahis par l’eau. Ce n’était pas l’insubmersibilité de guerre : le bâtiment abordé avait perdu ses facultés de giration ; ses lignes de tir étaient aussi déformées que ses lignes d’eau ; son gouvernail et son hélice étaient éventés. En cas de guerre, le cuirassé n’eût été qu’une proie livrée.

Le cas auquel on fait ici allusion se rapporte à un bâtiment d’un type déjà suranné et dont le système compartimentaire était à peine ébauché. Mais les bâtimens du dernier type, à double fond, à pont cuirassé et à compartimens multiples, rempliraient-ils, si on les laissait tels qu’ils sont, les conditions de l’insubmersibilité de combat? Conserveraient-ils des lignes d’eau invariables pendant le combat? Auraient-ils même, dans l’état actuel de la protection, qui repose sur la cuirasse et les cellules, cette insubmersibilité restreinte qui les empêcherait de couler dans certains cas d’attaque par le projectile, par l’éperon ou par la torpille?

Assurément non.

Attaqués sur certains points, ouverts largement, par exemple sur les espaces qui contiennent l’appareil mécanique ou même l’appareil évaporatoire, ils ne flotteraient plus au bout d’un temps très court. Attaqués sur d’autres points moins vulnérables, les effets de dislocation se répercuteraient, les rivets sauteraient par centaines, et le système de compartimens et de cellules sur lequel est basée la flottabilité laisserait place à de vastes espaces qui se rempliraient d’un corps lourd et mobile : d’où déformation des lignes d’eau, et, par suite, altération de l’action de l’hélice et du gouvernail, c’est-à-dire de la vitesse et de la faculté d’évoluer.

Est-il donc possible, cependant, de faire face à cet ennemi qui compromet à tout instant l’utilisation et l’existence même d’une machine si coûteuse et si précieuse? c’est peu, en effet, de raffiner tous les perfectionnemens de la science sur un espace de quelques centaines de mètres carrés, si la forteresse peut s’abîmer en quelques minutes.