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expose son teint aux ardeurs du soleil, travaillant « comme un homme, d’un bras qui n’est point mollement engourdi. » La description assez plate qu’il fait d’un retour des vendangeuses, après une journée de travail prolongée jusqu’à la nuit, n’a pas perdu le même caractère de réalité :


Aussitôt vous voyez chacun trousser bagage,
Et, le panier au bras, retourner au village ;
Les filles d’un côté se prenant par la main
En chantant sans chômer la chanson en chemin.


Une description de la condition matérielle de nos campagnes ne serait pas complète si elle ne renfermait les traits principaux qui se rapportent au régime et à la façon de vivre des paysans. Leur nourriture en Touraine se compose de porc salé, de légumes, de fromage, d’un pain dont la qualité s’est améliorée depuis vingt ans, de piquette ou d’une boisson faite avec des fruits cuits ou du marc de raisin. Le vin n’est la boisson habituelle que chez les plus aisés. On évalue, dans cette partie qui possède un peu de bien-être, a une livre par semaine et par tête la consommation de la viande de boucherie. A la ferme, l’ouvrier est devenu exigeant. La viande de bœuf lui est servie une fois par jour, et souvent à deux repas. L’usage du café, naguère assez peu développé, partout se répand depuis peu d’années. La bière n’est guère connue, excepté dans les cabarets. On doit reconnaître que les libations ne sont abondantes que les dimanches et les jours de fête, mais l’usage des festins, plus copieux dans les jours de nopces, ne s’est pas perdu au pays de Gargantua dans la classe des petits cultivateurs, chez qui le poulailler et la basse-cour fournissent à la table un supplément copieux, sinon très varié, en ces jours de gala. Ce régime suffit à faire une race saine, assez forte, sans être extrêmement vigoureuse, et en général à l’abri des infirmités qui créent pour le service militaire des cas d’exemption.

Tout le monde a pu être frappé, quant au logement, d’une particularité qui s’étend d’ailleurs au-delà des limites du département d’Indre-et-Loire. Telle est la composition géologique du sol que le roc est habité en plus d’une localité par les familles rurales. Des villages entiers sont creusés dans le tuf à Mont-Louis, à Roches-Corbon, à Saint-Antoine-du-Rocher, à Loches, au faubourg Saint-Jacques, à Villaines. Plusieurs pièces destinées à l’habitation dans ce roc, à la fois solide et friable, sont tenues habituellement sèches. Les propriétaires aisés se plaisent eux-mêmes à creuser dans le roc, pour l’été, des salles à manger, des salles de billard, qui offrent un asile contre la chaleur. Cette manière de se loger en toute saison et dans des conditions si particulières