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où le goût de la vie facile et du plaisir dans la jeunesse est toujours de tradition, tant que le frein du travail et du calcul ne s’est pas encore fait sentir. Cette rareté de la main-d’œuvre devait avoir pour conséquence l’emploi d’un certain nombre de travailleurs étrangers à la France et au département. Elle a contribué aussi au développement, dans une mesure encore trop faible, des machines agricoles, qui n’ont exercé aucune influence contraire au taux des salaires ; nous le trouvons fixé à des chiffres qui sont au nombre des meilleurs pour l’ouvrier rural que présentent nos départemens; on ne le trouve plus haut que dans les départemens les plus rapprochés de Paris. En se reportant aux chiffres que nous avons constatés pour la Bretagne, on pourra juger de la différence considérable établie au profit de l’ouvrier rural tourangeau, soit qu’il s’agisse d’un travail à forfait, soit que le prix en soit réglé à la journée, soit que la nature des engagemens donne lieu à une rétribution fixe pour une année. Nous trouvons une paie de 15 ou 16 francs pour le fauchage des prés à l’hectare, et de 27 à 30 pour la moisson. Quand le prix est réglé à la journée, il est de 2 fr. 50, de 3 francs, même de 5 pendant la moisson, sans compter plus d’un accessoire qui ne laisse pas d’augmenter le taux de la rétribution. Un vigneron à l’année, qu’on ne nourrit pas à la ferme en temps ordinaire, veut être, pendant les vendanges, nourri, logé, il reçoit en surplus pour 25 ou 30 francs de déchets de la vigne ; et il gagne de 800 à 900 francs. L’élévation dans les gages fixes paraît avoir été pour le moins en rapport avec celle des salaires du journalier, quand on voit, par exemple, le garçon charretier gagner, nourri, environ 400 à 450 francs, assez fréquemment même 500 et 600 francs. Les divers travaux à la journée reçoivent une paie inconnue autrefois. Ainsi, dans les bois, la journée d’un bûcheron actif, exploitant un taillis, peut lui rapporter de 5 à 6 francs. Quant aux femmes, elles reçoivent, non nourries, de 2 francs à 2 fr. 50; nourries, de 1 fr. 25 à 1 fr. 75. C’est environ le double du salaire de la femme bretonne. Les enfans ont peut-être encore plus gagné proportionnellement, parce que leur concours est devenu de plus en plus nécessaire, si faible, si inexpérimenté que leur travail soit le plus souvent. On les emploie aux champs à peine sortis de l’école, et ils gagnent 225 à 250 francs; à l’âge de dix-huit ans, ils en gagneront de 400 à 450, parfois 500 ou 600 au moment du tirage au sort[1]. Au retour du service militaire, ils ne tardent pas à se marier, achètent un petit bien. Les gages des filles de ferme ont suivi une progression non moins

  1. Réponse de M. Goussard de Mayol à l’enquête faite par la Société nationale d’agriculture (1879).