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même s’en trouvent modifiés sensiblement. Cet excessif morcellement donne à la valeur des terres une mobilité qui l’affecte instantanément dans la proportion de plus d’un tiers. Ces soubresauts ont leur contre-coup moral par l’effet toujours fâcheux d’une part trop grande faite à l’aléatoire. On se demande, — et ce phénomène s’observe fréquemment sur le territoire de Chinon ; — si c’est un petit propriétaire ou un ouvrier rural que ce vigneron parcellaire qui possède quelques ares. En réalité, il est à la fois ou tour à tour l’un et l’autre, tant il se fait entre les deux états un roulement perpétuel ! Atteint par deux ou trois mauvaises années, ce petit vigneron, à l’aise quand il y avait abondance, mais à qui manque le capital, n’a rien de plus pressé que de vendre. Cette surabondance de ventes simultanées avilit les prix sans aucune mesure. Tel est, dans ce genre de culture, excellent d’ailleurs quand aucun fléau ne l’éprouve, le principal inconvénient du morcellement extrême. La culture en souffre bien moins qu’on ne pourrait croire ; elle s’accomplit dans de bonnes conditions, grâce au travail personnel le plus persistant, et la vigne se prête à cette division du sol ; mais ce qui souffre, c’est ce détenteur parcellaire trop facilement vulnérable au moindre choc de la mauvaise fortune. Un tel état a ceci de particulier que la situation n’est jamais ni certaine, ni désespérée. On est tenté de s’écrier par momens que tout est perdu ; rien ne l’est. De nouvelles épargnes se reforment assez vite. Ce sont alors ces mêmes paysans, ou d’autres plus heureux, qui se représentent pour acheter les mêmes morceaux de terre en circulation, auxquels ils mettront un prix quelquefois beaucoup trop élevé. Je répète qu’il est regrettable que l’agriculture présente cette condition aléatoire. La terre n’est pas une valeur de bourse. Un certain degré de fixité est au nombre des meilleurs élémens moraux et matériels de la vie du cultivateur. Peut-être faut-il louer pourtant le petit vigneron, en général aujourd’hui, d’aimer mieux vendre qu’emprunter à des conditions trop onéreuses. Cette crainte d’avoir affaire à l’usurier est particulièrement forte chez la femme. La terreur qu’inspire l’usurier rapace ne date pas d’aujourd’hui, elle paraît déjà dans la prière que le vieux rimeur Pibrac met dans la bouche de la femme d’un cultivateur, lorsqu’elle demande à Dieu chaque soir que sa bonté daigne


En douce paix tenir sa petite maison,
Que leurs enfans communs les tavernes hanter
Ne vueillent, ni jamais les truans fréquenter,
Que la fille qui jà preste à mary se monstre
Avec petite dot par heureuse rencontre
En honneste maison ils puissent héberger