Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/65

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

publier un édit dans lequel il ordonnait d’arrêter toutes les poursuites et finissait pur demander piteusement les prières de ceux qu’il avait jusque-là si maltraités. A la vérité, son édit n’était pas exécuté dans toutes les provinces. Le césar Maximin n’en avait pas tenu compte ; il laissait quelques municipalités, animées d’un saint zèle pour les divinités locales, continuer la guerre religieuse ; mais ces attaques isolées et tardives ne pouvaient plus nuire beaucoup au christianisme. C’est la règle que les grands coups qu’on prétend frapper contre une doctrine n’ont toute leur force qu’au premier moment. La violence a besoin de réussir vite pour qu’on lui pardonne, un succès rapide peut lui donner un air de légitimité. Dès qu’elle traîne en longueur, elle laisse le temps aux sentimens de modération et de justice de se reconnaître, et tous les hésitons, tous les incertains, qui forment partout la majorité, finissent par se déclarer contre elle. C’est ainsi que l’opinion publique, si sévère d’abord aux chrétiens, quand elle vit qu’en dix ans de persécution l’état n’avait pas pu les anéantir, leur devint favorable. Au moment où nous sommes, en 311, on peut dire qu’ils avaient conquis la liberté : la conversion de Constantin va leur donner le pouvoir.


III

A quelle époque Constantin est-il devenu chrétien ? — Ce serait assez tard, si l’on en croyait Zosime. Il prétend que, pendant plus de la moitié de son règne, ce prince pratiqua l’ancienne religion, « mais qu’il la pratiqua plutôt dans la crainte de se compromettre en la quittant que par un sentiment de piété véritable. » Lorsqu’en 326 il eut fait mourir son fils aîné et sa femme, il en éprouva des remords, et demanda aux pontifes de lui fournir quelque moyen d’expier ses crimes ; mais les pontifes lui répondirent qu’ils n’en connaissaient point pour d’aussi criminelles actions, « Il y avait alors, ajoute Zosime, un Egyptien[1] qui d’Espagne était allé à Rome et s’était insinué auprès des dames de la cour. Cet Égyptien assura l’empereur qu’il n’y avait point de faute qui ne pût être remise par les sacremens de la religion chrétienne. Constantin reçut cette assurance avec joie, et il s’empressa de renoncer au culte de ses pères pour embrasser l’impiété nouvelle. » Ce récit rappelle le reproche que les païens faisaient souvent au christianisme d’encourager les gens à commettre toute sorte de crimes en leur donnant l’espoir de les réparer aisément. Dans la satire des Césars, Julien suppose que son prédécesseur, Constance, emploie ce moyen

  1. Tillemont suppose que, dans la mention de cet Égyptien qui vient d’Espagne, il faut voir un vague souvenir du rôle qu’Osius, l’évêque de Cordoue, a joué dans la cour de Constantin.