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est une des causes très marquées de leur émigration vers les villes. La lingerie, les modes, la couture, la confection des gants, en enlèvent un grand nombre à la vie des champs. Cet amour du plaisir, de l’existence facile, des distractions, n’entraîne pas peut-être à des désordres plus graves qu’ailleurs, et ce serait un sujet d’étude pour le statisticien moraliste et physiologiste que de rechercher si l’apathie, la langueur de certaines races molles et lymphatiques n’est pas encore plus fatale aux mœurs que ces divertissemens qui donnent pourtant aux passions de la jeunesse de dangereuses occasions de se satisfaire. On serait tenté de croire qu’avec la liberté un peu relâchée des habitudes, le nombre des naissances illégitimes atteint en Touraine une moyenne assez élevée, tandis qu’en réalité elle l’est peu, et que la plus grande part revient à la ville de Tours. Quant aux unions illicites de quelque durée, c’est chose pour ainsi dire inconnue dans nos campagnes, où l’opinion ne les tolère pas et où le mariage consacre et répare sans retard les écarts de conduite. Dans le mariage même, la fécondité se maintient dans une moyenne qui n’en atteste déjà que trop pourtant la diminution, sans aller jusqu’à cette restriction dans le nombre des enfans portée à ce point de n’en avoir plus qu’un ou deux par ménage. Le nombre des naissances était de 6,760 en 1882, et celui des décès de 6,121; c’est moins que dans certains départemens, qui ne réparent même pas leurs pertes, mais c’est un résultat encore médiocrement satisfaisant. On comprend que, dans de telles conditions, l’émigration, sauf dans les villes voisines, soit très peu abondante ; il n’y avait que quinze habitans en 1881 qui émigraient hors de la France.

A mesure que nous avançons dans ces études rurales, nous arrivons à nous convaincre que ce qu’il y a encore de mieux dans la population de nos campagnes, c’est la femme. La même conclusion n’est pas douteuse pour la classe ouvrière des villes dans la majeure partie des cas. La femme a certainement, dans le ménage agricole comme dans le ménage ouvrier, moins de vices que le mari, et elle a aussi le plus souvent des qualités mieux soutenues de travail, d’économie, de tempérance, de fidélité et, bien entendu, de douceur. La vie et la maternité lui donnent le sérieux qui, dans la province que nous étudions, lui manque parfois dans sa jeunesse. La femme trouve, en outre, dans la vie rurale les préservatifs qu’elle n’a pas dans les villes. Elle ignore, même au sein de l’aisance, le détachement du foyer, l’absence des soins domestiques, le désœuvrement et les loisirs frivoles, qui, dans nos classes riches, font le charme exquis de quelques-unes, mais qui sont aussi des causes de corruption. L’honnête ménagère, placée au-dessous de la fermière riche, déploie les mêmes qualités d’ordre et de bonne gestion sur le plus modeste théâtre. En Touraine, elle