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moi ! » il se proclame « le premier serviteur, le premier domestique de l’état, » il ne sert « d’autre Dieu que son cher peuple. » S’il a des vices, l’histoire n’en saurait faire mention, car ses sujets n’en ont point souffert. Sous sa figure osseuse et démoniaque, c’est un Méphistophélès bienfaiteur du peuple, un despote, car son autorité n’a ni contrôle, ni bornes légales, un philosophe, fondateur, dans l’Europe religieuse, de l’état purement séculier et de la loi moderne. Ainsi protégée par ses princes et les intérêts politiques d’un grand état, de la frivolité des petites cours, la Prusse commence le relèvement de l’Allemagne, si abaissée depuis la guerre de Trente ans. — l’exemple de Frédéric et les idées d’Aufklærung, répandues surtout depuis la guerre de Sept ans, transforment un certain nombre de cours protestantes et de cours catholiques ; la Bavière, si monacale, si arriérée, fait un essai timide dans la voie des réformes. Joseph II s’intitule l’adorateur de l’humanité, l’évêque de Wurzbourg supprime les formules humbles à l’égard du prince : on s’efforce de remédier au népotisme, à la vénalité, de réparer les péchés des prédécesseurs, ou l’on promet de se réformer soi-même, comme le duc Charles-Eugène, lors de son cinquantième anniversaire de naissance. De petites principautés, Weimar, Gotha, Bade, Anhalt-Dessau, deviennent des modèles de bonne administration, de gouvernement patriarcal, « vrais jardins de Dieu gouvernés par des mains princières. » Au lieu de mettre leur amour-propre à entretenir des danseuses, ces princes se vantent de ne plus faire de dettes, d’équilibrer leur budget : ils prennent le ton philosophique, attirent à leurs cours non plus les astrologues et les chercheurs de pierre philosophale, mais cette sorte de savans, appelés depuis économistes, qui se vantent de découvrir la source des richesses, le secret de la prospérité des nations. Un tel souci du bonheur des sujets devient même pour ces derniers gênant et importun ; leurs maîtres les tourmentent d’une autre façon lorsqu’ils vont soulever le couvercle de chaque marmite, examiner ce que chacun fait bouillir au fond du pot. Non contens de s’occuper de la génération prochaine, ces pères du peuple songent à préparer la génération présente par une éducation nouvelle à de meilleures destinées. Sous leurs auspices, les universités se fondent et s’enrichissent, presque partout les écoles sont rendues obligatoires. Frédéric II, un des plus actifs dans cette réforme, multiplie les écoles rurales, crée à Berlin une école industrielle. Les idées de Rousseau sur l’éducation se répandaient en Allemagne : dans l’Anhalt-Dessau, Basedow dirige l’école-modèle Philanthropin d’après les préceptes de l’Émile ; à l’éducation vicieuse de caserne et de couvent il substitue la vie en plein air, nager, ramer, courir, sauter, cavalcader… Rendons aux princes cette justice qu’un si beau zèle de réformes