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de Wurtemberg célèbre dans ses forêts, éclairées aux feux de Bengale, n’ont rien qui évoque l’antiquité, non plus que cette fête du carnaval de 1702, à la cour de Hanovre, dont Leibniz nous a conservé le récit : « c’était un festin à la romaine, qui devait représenter celui du célèbre Trimalcion, que Pétrone décrit... A regard de ses nécessités, le personnage qui faisait Trimalcion ne se contraignit point ; car, se trouvant pressé, il sortit et rentra en cérémonie. D’ailleurs, un pot de chambre de grandeur énorme, où il aurait pu se noyer la nuit, le suivait partout. » Le même Leibniz lisait à son amie, la vertueuse et spirituelle Sophie-Charlotte de Hanovre, première reine de Prusse, de petits vers français de sa façon, d’une licence tellement barbare, qu’on ne reconnaît plus, en cette poésie de corps de garde, le métaphysicien de la Théodicée, l’émule du divin Platon. Il y avait encore bien de la grossièreté dans les mœurs de Versailles : Saint-Simon et la duchesse d’Orléans foisonnent de détails à cet égard ; mais la passion des comédies fines et des tragédies nobles rachetaient du moins les vulgarités.

Comme les plaisirs étaient sans élégance, l’art en Allemagne était sans goût. L’unique expression du génie allemand à cette époque, la musique protestante de Bach et de Haendel était ignorée dans ces cours ou dédaignée; on n’avait d’yeux et d’oreilles que pour le ballet, l’opéra italien. Dresde doit, il est vrai, aux deux Auguste sa galerie de peinture, alors sans rivale, mais les mêmes princes collectionnaient à grands frais le bric-à-brac rococo de la voûte verte. L’architecture du temps nous étale de même un style prétentieux, surchargé. Les princes quittent les sites pittoresques de Heidelberg, de Stuttgart, pour des résidences nouvellement construites en damier ou en éventail, Mannheim, Carlsruhe, Ludwigsburg ; au milieu des campagnes ruinées, ils élèvent des Marly, des Trianon. « Dans les jardins du château de Weikersheim, les statues des conquérans du monde, Ninus, Cyrus, Alexandre et César gardent l’entrée du palais des Hohenlohe. » Ces souverains de Lilliput rivalisent de caprices ruineux, d’inventions fantasques et baroques, chambres chinoises, kiosques, minarets, temples grecs, constructions romaines, ruines artificielles : dans des allées bordées d’ifs taillés, des jets d’eau éclatent à l’improviste sous les jupes des dames. Joignez à ce décor un vestiaire d’énormes perruques, de rubans, de talons rouges et de falbalas et vous achèverez d’évoquer l’image de cette pompe et de ce grotesque.

Quel contraste forme avec ces princes viveurs pleins d’ostentation et de profusion, avec son père même, ce roi bossu qui singeait Louis XIV, Frédéric-Guillaume Ier, le second roi de Prusse, dans son avarice, dans sa franche brutalité germanique, dans son horreur