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s’élevèrent vers le ciel: « Que Dieu donne la victoire au sultan ! Que Dieu donne la victoire au sultan ! » Derrière les méchouari s’avançaient six chevaux admirablement sellés et caparaçonnés hennissant, bondissant, caracolant entre les mains de palefreniers, qui les tenaient respectueusement par la bride. Personne ne les montait. Après ces six chevaux, venait le caïd el-méchouar, criant d’une voix retentissante : «Mas habu bi-koum ! Soyez les bienvenus ! » Quelques maîtres de cérémonies le suivaient ; puis apparaissait un cavalier tout blanc, sur un cheval non moins blanc, émergeant d’un groupe de piétons blancs dont les uns portaient des lances, les autres agitaient près de lui des étoffes blanches, tandis que l’un d’eux élevait sur sa tête un énorme parasol vert. De loin, on distinguait mal sa figure, mais il était facile de remarquer sa haute stature, son air fier et réellement imposant. Le cortège se terminait par deux lignes de ministres, de chérifs et de tolbas marchant péniblement derrière le sultan, puis par une sorte de petit coupé d’ancien régime, peint de couleurs voyantes, mais dépourvu de siège pour le cocher.

Lorsque le cavalier blanc fut près de nous, nous nous découvrîmes, et, malgré le soleil qui nous brûlait les yeux, — car naturellement nous avions été placés de manière à l’avoir en plein visage, pendant que le sultan, qui seul jouissait d’une ombrelle, lui tournait le dos, — nous pûmes admirer Moula-Hassan. Admirer est bien le mot juste : le souverain du Maroc est certainement le plus bel homme de son empire et l’un des plus beaux qu’il soit possible de rencontrer dans un empire quelconque, même dans celui des rêves et des fantaisies. D’une stature élevée, d’un port singulièrement majestueux, il monte à cheval comme le plus habile des cavaliers arabes. Sa figure est d’une régularité parfaite, bien que ses lèvres, un peu fortes, attestent, aussi bien que son teint jaunâtre, que le sang nègre se mêle dans ses veines au pur sang de Mahomet. Ses grands yeux noirs sont magnifiques, d’un éclat perçant qui s’éteint avec une douceur charmante dès qu’il se met à sourire. Agé d’une quarantaine d’années à peine, tous les signes de la fermeté et de l’obstination sont empreints sur sa physionomie, d’un caractère puissant. Une sorte de gravité dédaigneuse, qui n’est pas sans mélange de dégoût et d’ennui, lui donne quelque chose de sévère, parfois même de sombre et de triste. Son regard a une expression singulière qui frappe au premier abord. Comme chez Si-Fedoul, la prunelle noire de ses yeux, toute chargée d’éclairs, n’occupe que la moitié supérieure de l’orbite et laisse voir le blanc au-dessous, pareille, diraient les poètes arabes, à la lune au-dessus de la ligne de l’horizon. Son front est constamment plissé, et, entre deux sourcils