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ment automatiques, ne suffisent point à rendre compte de la vie mentale et ne peuvent être considérés comme les élémens primordiaux des états de conscience. S’il n’y a que mécanisme dans les actes réflexes, d’où vient cette conscience qui apparaît tout à coup dans le cerveau par un simple ralentissement, comme s’il suffisait de tourner une roue de machine un peu moins vite pour produire de la pensée ou du sentiment ? Comment la conscience naît-elle, si aucun germe ne la contient ? Comment se développe-t-elle, si elle ne sert à rien ?

Plus prudent que MM. Sergi et Setchénof, M. Spencer a soin de déclarer qu’il ne prétend point expliquer l’origine de la conscience, et qu’aucun mouvement ne nous fera comprendre ce qu’est une pensée. À la bonne heure ! mais comment, alors, M. Spencer ne s’aperçoit-il pas de la contradiction qui existe entre les deux parties de sa psychologie : l’une appelée par lui synthèse et l’autre analyse ? Dans la partie analytique, l’auteur, de décomposition en décomposition, aboutit, comme à un élément irréductible, au sentiment de différence, c’est-à-dire à un acte conscient, quelque rudimentaire d’ailleurs que cet acte lui paraisse. Au contraire, dans la partie synthétique, M. Spencer prend pour point de départ, avec MM. Huxley et Maudsley, l’acte réflexe conçu comme purement automatique et inconscient : « L’action réflexe, dit-il, est la forme la plus inférieure de la vie mentale[1]. » Mais comment une action réflexe entendue comme simple transmission mécanique et avec exclusion absolue de tout élément d’ordre mental peut-elle être la forme la plus inférieure de la vie mentale ? Comment surtout peut-elle se confondre avec la conscience d’une différence, si l’acte réflexe ne renferme aucune conscience, aucun sentiment ? L’hiatus est visible : un réflexe tout mécanique ne peut être capable de produire la conscience et la pensée que si on admet le matérialisme, et M. Spencer rejette ce système. Il répète à plusieurs reprises que les mouvemens les plus compliqués ne sauraient rendre raison du plus simple des états de conscience. Rien de mieux ; mais il faut en conclure que le mental est déjà dans le « réflexe » prétendu automatique ; qu’avant le réflexe même, il est déjà dans la vie ; qu’avant la vie, il est déjà au fond des mouvemens dits inorganiques ; qu’avant tout, il est parmi les facteurs primitifs de l’évolution.

S’il en est ainsi, le psychologue ne peut plus admettre que l’homme soit un pur automate où la conscience est accessoire et accidentelle, une machine qui fonctionnerait aussi bien sans la conscience qu’avec son concours. Il y a entre le mental et le physique

  1. Psychologie, i, page 456.