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il fonctionne automatiquement ou quand il fonctionne avec réflexion[1]. Les matérialistes qui soutiennent ce paradoxe sont tout près d’être spiritualistes sans le savoir, puisqu’ils s’accordent avec les spiritualistes pour introduire la pensée du dehors dans la machine, comme une sorte de spectateur indépendant ou comme une lampe merveilleuse qui rendrait tout à coup transparens les ressorts de l’automate. Les psychologues, quoi qu’en dise M. Sergi, ont eu raison de faire « tant de cas du côté subjectif, » par exemple de la sensation du violet produite par la réaction du « chlorure d’argent ; » autant cette sensation importe peu au chimiste, autant la réaction du chlorure d’argent importe peu au psychologue. Il est aussi ridicule d’expliquer la sensation par une « phase » de la réaction chimique que la réaction chimique par une phase de la sensation. L’analogie de la conscience et la coloration du sel d’argent n’est qu’un cercle vicieux. La couleur du sel, en tant que différente du phénomène chimique et mécanique, est une sensation, un fait mental, qui présuppose la conscience même qu’on veut expliquer. Considérée dans ses conditions extérieures, comme vibration lumineuse et vibration nerveuse, la couleur n’est qu’un mouvement ; mais la « manifestation consciente » de la couleur, n’étant plus un mouvement, n’est plus résoluble en termes physiques. Les « phases » de la lune sont réductibles à des mouvemens de la lune, mais la « phase consciente » d’une vibration lumineuse, la vision de l’astre, n’est plus réductible à de purs changemens dans l’espace. Les métaphores de manifestation, de révélation consciente et de phase consciente n’ont pas le pouvoir de supprimer les contradictions qui sont au fond de cette alchimie psychologique. Les matérialistes naïfs ressemblent à un employé du télégraphe qui dirait : — Aucune dépêche ne peut être transmise sans une action électro-chimique ; donc le contenu de la dépêche est lui-même réductible à une action électro-chimique dont il est le terme. C’est ma pile qui dicte les dépêches.

En somme, nous admettrons volontiers que toutes les fonctions mentales dépendent de conditions déterminées et cérébrales : c’est là une vérité proprement scientifique ; mais nous ne pouvons admettre que ce qu’elles ont de mental soit entièrement réductible à ce que nous appelons le mécanisme, n’en soit qu’un « accessoire » inconstant sujet à des absences complètes, un mode accidentel, comme d’aller à droite au lieu d’aller à gauche. C’est là de la métaphysique

  1. C’est ce que M. Ribot reconnaît fort bien lui-même. M. Ribot, esprit éminemment scientifique, est bien plus circonspect que M. Sergi ; le seul reproche que nous lui ferions, c’est de n’être pas encore assez circonspect là où il prétend faire de la psychologie purement expérimentale, ou, quand il franchit les limites de l’expérience, de ne pas avouer qu’il fait de la métaphysique.