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j’avais fait une absence d’une demi-heure. » — Cet exemple, à nos yeux, ne prouve rien. Tous, en nous réveillant même d’un long rêve, nous reprenons ou pouvons reprendre le cours de nos idées au point où nous l’avions laissé. Les deux bruits de la clé étaient un trait d’union naturel et inévitable entre les deux séries de pensées réfléchies, inquiètes mêmes, relatives à la bougie. Toutes les autres séries d’images ou, s’il n’y a pas eu d’images, de sensations confuses, s’évanouissent du souvenir dès qu’on ressaisit les deux bouts de la chaîne pensante ; mais la conscience ne consiste pas pour cela tout entière à penser (au sens moderne) et à associer des idées. De même, on ne peut tirer de conclusion absolue des exemples où, un état pathologique (syncope, vertige épileptique, pression cérébrale, etc.) ayant supprimé brusquement la conscience de soi pendant un intervalle plus ou moins long, le malade reprend son discours au mot même où il s’était arrêté. Il est certain qu’il y a dans le cerveau un automatisme d’images, surtout pour ces images auditives et motrices qu’on appelle mots ; il est certain aussi que ce fonctionnement mécanique peut être suspendu comme celui d’une horloge, qu’il peut reprendre après un arrêt comme une montre qu’une petite secousse remet en mouvement, mais la question n’est pas là. Il s’agit de savoir si la vie mentale, la conscience au sens le plus général, — c’est-à-dire la sensibilité et la motilité confuses, — peut s’interrompre absolument et recommencer, comme s’interrompent des séries particulières ou mêmes générales de représentations, d’images, de mots ; or, cette interruption absolue ne peut pas plus se prouver par l’absence de souvenir, que le vide absolu ou le repos absolu là où nous ne voyons plus de matière ou de mouvement. De part et d’autre, on en est réduit à des inductions, et l’induction la plus plausible, la plus conforme à la loi de continuité dans la nature, c’est que la vie mentale ne disparaît pas tout d’un coup là où la vie physiologique subsiste, qu’elle ne quitte pas le corps comme un voyageur quitte une hôtellerie. La vie mentale est obscurcie, alourdie, engourdie, soit ; mais elle subsiste probablement comme le feu sous la cendre.

« L’événement nerveux, dit M. Ribot, existe en lui-même » indépendamment de la conscience ; si la conscience s’y ajoute, l’événement existe alors pour lui-même ; donc « la conscience le complète, l’achève, mais ne le constitue pas. » — Mais, encore une fois, de quel droit affirmer que rien de mental, rien d’analogue à la sensation et à l’appétit, ne fait partie des conditions constitutives de l’élément nerveux ? Là où nous cessons, nous, de sentir, il n’en résulte pas que toute sensation disparaisse, que tout élément d’ordre mental soit absent. Et si, dans nos œuvres artificielles, dans nos construc-