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fait pour préoccuper l’Autriche. Au moment où la question renaissait, par la déclaration définitive du divorce, aux dernières semaines de 1809, toutes les chances semblaient être encore pour l’alliance russe, et, de fait, M. de Caulaincourt était chargé d’adresser une demande nette et formelle à l’empereur Alexandre ; mais on s’agitait aussi beaucoup à Paris, autour de Napoléon, pour une autre alliance, pour un mariage avec une archiduchesse d’Autriche. Chose curieuse! l’impératrice Joséphine faisait venir à La Malmaison, dans sa retraite d’épouse répudiée, Mme de Metternich, et, devant le prince Eugène, devant la reine Hortense, elle lui disait : « j’ai un projet dont la réussite seule me fait espérer que le sacrifice que je viens de faire ne sera pas en pure perte, c’est que l’empereur épouse voire archiduchesse. Je lui en ai parlé hier, et il m’a dit que son choix n’est pas encore fixé ; mais je crois qu’il le serait s’il était sûr d’être accepté chez vous... » Le nouvel ambassadeur d’Autriche à Paris, le prince Charles de Schwartzenberg, écoutait complaisamment les confidences qui lui venaient de toutes parts, et, sans rien engager, il ne cachait pas le plaisir qu’il aurait à voir une princesse autrichienne impératrice des Français. En même temps, M. de Narbonne, le brillant ami de Mme de Staël et de M. de Talleyrand, qui s’était depuis peu rallié à l’empire et que l’empereur avait fait gouverneur de Raab pendant la guerre, passait à Vienne. Il assistait à un dîner tout intime, avec trois ou quatre personnages d’élite : le vieux prince de Ligne, le prince d’Arenberg, autrefois Tarai de Mirabeau sous le nom de comte de La Marck, M. de Metternich lui-même, et il parlait avec feu, avec une raison hardie de l’avenir; il montrait que la paix qu’on venait de signer ne serait qu’un péril si elle n’était pas le commencement d’une alliance plus intime, d’une alliance de famille, si l’Autriche se laissait arrêter dans son inclination pour la France. Le lendemain, M. de Narbonne était appelé auprès de l’empereur François, et il avait avec ce prince une conversation encourageante qu’il se hâtait de transmettre à Paris. Il était clair qu’entre Vienne et Paris il s’opérait par degré une sorte d’entente secrète coïncidant avec la négociation engagée à Saint-Pétersbourg.

On en était là au commencement de janvier 1810. Comment la question serait-elle résolue? Ce qui la tranchait brusquement, c’est que l’empereur Alexandre, soit pour ménager sa mère, hostile à l’alliance, soit dans l’espoir d’obtenir de la France quelque engagement au sujet de la Pologne, semblait montrer une réserve, une hésitation qui devenait blessante. Il n’en fallait pas tant pour décider Napoléon, qui se sentait porté par son goût, par son orgueil, vers le mariage autrichien, qui était maintenant à peu près sûr