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nouvelle un peu mêlée un air de haute aristocratie, de la jeunesse, de l’esprit, l’art de plaire avec le prestige d’un ambassadeur représentant une vieille et grande cour, la seule avec laquelle on lut en paix pour le moment. M. de Metternich, soit discrétion, soit affectation de gravité, ne dit pas tout dans ses Mémoires sur cette ambassade de près de trois années, sur ce qu’on pourrait appeler sa vie parisienne. On ne dirait pas, à le lire, qu’il était le héros des cercles de cour et des salons, la fleur des diplomates du moment, qu’il ne fuyait ni les séductions ni les succès du monde. Mme de Rémusat, qui ne lui est pas indulgente, dit : «Dans le courant de cet été de 1806, on vit arriver à Paris M. de Metternich, ambassadeur d’Autriche, qui a joué un assez grand rôle en Europe, qui a fait une si immense fortune, sans pourtant que ses talens s’élèvent au-dessus de l’intrigue... Il était jeune, d’une figure agréable. Il obtint des succès auprès des femmes. Un peu plus tard il parut s’attacher à Mme Murat... » M. de Metternich était en effet de toutes les réunions, de toutes les fêtes princières et mondaines, de tous les bals, où il était recherché comme le plus élégant des cavaliers. Il avait des aventures à demi romanesques, qui ne restaient pas toujours secrètes[1]. On racontait qu’un jour, à la suite d’une indiscrétion perfide de bal masqué, un des officiers impériaux, mari d’une des femmes les plus séduisantes de la cour, avait pu découvrir chez lui, dans un meuble précieux, des lettres qui venaient du brillant ambassadeur d’Autriche et qui n’avaient rien de diplomatique. On racontait surtout la faveur du comte de Metternich auprès de la belle et impérieuse grande-duchesse de Berg, bientôt la reine de Naples, — et les souvenirs des beaux jours de Paris et de Saint-Cloud devaient même se trouver un peu singulièrement mêlés quelques années plus tard aux imbroglios du congrès de Vienne.

C’était un mondain, il l’a toujours été. C’était assurément aussi un diplomate qui, au milieu des plaisirs, n’oubliait pas les affaires,

  1. Les souvenirs de la vie mondaine du brillant, diplomate étaient restés familiers aux contemporains. Quelques années plus tard (1811), M. de Talleyrand, disgracié lui-même, écrivait de son ton aisé et légèrement moqueur à M. de Metternich, qui avait déjà quitté l’ambassade de Paris pour la chancellerie d’état : « j’aurais bien voulu répondre plus tôt à votre lettre, mon cher comte, mais j’ai passé près de trois semaines dans ma chambre assez malade... Quand on vient d’être malade gravement, on rentre dans la vie dans un état de pureté qui laisse fort ignorant sur les affaires de ce monde. Aussi ne sais-je guère ce qui s’y passe. Mon bon sens me dit que sont heureux les souverains qui vous ont dans leurs conseils; mais vous ne pouvez pas être partout, pas même à Paris, où vous auriez cherché sûrement à consoler M. le duc de Bassano du rapport du ministre des affaires étrangères de Suède que je viens de lire et Mme Junot du départ de son mari. Chacun a ses peines et vous avez des remèdes pour toutes... »