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à tout saisir, il démêlait dans l’été de 1805 le travail de la diplomatie en Europe, les préliminaires d’une coalition nouvelle, les préparatifs militaires de l’Autriche ; et alors, comme il arrive toujours, tout se précipitait : l’Autriche surprise, troublée de se voir découverte, se défendait mal et redoublait d’activité fiévreuse ; le trouble, les armemens de l’Autriche enflammaient Napoléon et le décidaient brusquement à ce qu’il appelait la « contremarche de son armée en Allemagne. » Le résultat était cette éclatante campagne d’octobre-décembre 1805, où l’Autriche, exposée au premier choc, allait être brisée à Ulm, — où la Russie accourait à travers la Pologne comme la réserve de la coalition. Où en était cependant la Prusse, que les coalisés harcelaient de leur diplomatie?

Depuis plus d’une année, la Prusse ne cessait de flotter dans sa politique d’ambiguïté, négociant avec tout le monde sans se lier avec personne. Au fond, en prenant mille précautions pour ne point se démasquer vis-à-vis de la France, qu’elle redoutait, elle tenait à rester en intelligence avec Vienne, surtout avec Pétersbourg. Elle avait fait déjà, dans le plus grand mystère, un premier pas vers la Russie, au mois de mai1804, par une entente toute personnelle que le roi Frédéric-Guillaume nouait avec l’empereur Alexandre Ier . Elle était prêté à faire un nouveau pas avant la fin de l’année, le jour où l’Autriche et la Russie, qui venaient de se lier secrètement par le traité du 6 novembre, unissaient leurs efforts à Berlin pour obtenir du roi quelque gage de plus. M. de Metternich, qui depuis un an avait appris à connaître cette cour fuyante, était chargé de cette tentative, d’accord avec le représentant russe, M. D’Alopeus, et un envoyé confidentiel du tsar, M. de Wintzingerode. On peut dire qu’il avait le principal rôle dans cette négociation délicate, où il se sentait appuyé par M. de Hardenberg, devenu depuis peu ministre des affaires étrangères, où il avait à de jouer aussi l’insaisissable opposition de M. de Haugwitz, qui, en quittant le ministère, avait gardé son influence auprès du roi. Un instant, M. de Metternich se flattait presque d’avoir réussi à compromettre la Prusse dans la coalition qui se formait, dans ce qu’il appelait la cause générale; il avait du moins obtenu de M. de Hardenberg une sorte de déclaration constatant au nom du roi « un accord de principes et, s’il le fallait, de démarches entre les trois cours. » M. de Metternich triomphait! Il ne gardait pas longtemps, il est vrai, ses illusions et, avant peu, il était réduit à prévenir encore une fois sa cour qu’on n’aurait rien fait tant qu’on n’aurait pas mis la Prusse dans l’impossibilité de se dérober. « Il ne faut pas, écrivait-il, se borner à la mettre momentanément au pied du mur, il faut l’y retenir. » Le fait est que la Prusse ne s’était engagée à rien. Elle prétendait plus que jamais rester retranchée dans la neutralité, écoutant jusqu’au dernier moment les propositions