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printemps de 1803, par la rupture de la paix d’Amiens, la guerre venait de se rallumer entre l’Angleterre, emportée plus que jamais par ses passions nationales, et le premier consul, qui mettait tout son feu dans les armemens de Boulogne, — en attendant d’être un empereur sacré par la victoire et par un pape.


II.

Au fond, cette double mission de M. de Stadion à Pétersbourg, de M. de Metternich à Berlin cachait la pensée bien obscure encore d’une nouvelle coalition à laquelle l’Autriche se préparait de loin avec la patiente souplesse d’une puissance habile à réparer ses défaites, à attendre ou à saisir les occasions sans se laisser jamais décourager. L’Autriche, liée pour le moment par le traité de Lunéville, ne songeait pas sans doute à reprendre de sitôt les armes. Elle avait toujours la crainte de la France, de son jeune chef, dont elle voyait grandir d’heure en heure la fortune et l’ambition. Elle s’attendait à des entreprises nouvelles de l’impétuosité française en Allemagne, aussi bien qu’en Italie, et, prévoyant le danger, elle ne désespérait pas de rattacher à un système de ligue défensive les autres cabinets intéressés comme elle à l’indépendance des états. Elle avait besoin d’abord de s’assurer le concours de la Russie, et le succès n’était point impossible à Pétersbourg où, à la place du fantasque Paul Ier, régnait un jeune souverain accessible à la flatterie, impatient des grands rôles, assez disposé déjà à se croire l’émule du premier consul, à se considérer comme un protecteur ou un médiateur de l’Europe. M. de Stadion était chargé d’attirer Alexandre dans l’alliance rêvée à Vienne; mais la Russie et l’Autriche fussent-elles unies, elles ne pouvaient rien encore sans l’appui de la Prusse, et ici était la difficulté. La Prusse, au fond du cœur, gardait autant que l’Autriche la haine de la révolution française ; elle craignait en même temps de se compromettre par des manifestations qui risqueraient de la ramener à la guerre. Retirée la première des grandes luttes, elle avait trouvé assez de profit à sa neutralité depuis la paix de Baie, elle venait de gagner assez à la curée des sécularisations pour rester attachée à une paix si fructueuse, pour tenir singulièrement aménager la France, qui avait comblé quelques-unes de ses ambitions et de qui elle attendait de nouveaux avantages. Partagée entre ces sentimens divers, elle suivait une politique de perpétuels subterfuges, s’étudiant à flatter le premier consul, qu’elle craignait, sans se brouiller avec l’Autriche, dont elle était toujours jalouse, et avec la Russie, dont elle subissait l’ascendant. La Prusse, en un mot, tenait à rester en mesure de traiter avec tout le monde et