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maintenant il la voyait de plus près dans sa représentation officielle, — non dans Bonaparte, qui n’avait fait que passer, — mais dans Treilhard, dans Bonnier, dans ce personnel révolutionnaire, dont il retraçait la figure et l’accoutrement un peu bizarre d’un trait léger et moqueur dans ses lettres familières. Le jeune représentant des comtes de Westphalie ne se faisait guère illusion. Il se moquait des révolutionnaires, qui, avec leurs airs de « loups-garous, » lui apparaissaient comme de singuliers héritiers de l’ancienne urbanité française ; il sentait ce qu’il y avait de redoutable dans une révolution qui, avec de tels hommes et de tels moyens, menaçait de faire la loi au monde. Il voyait les armes républicaines partout victorieuses, le vieil empire d’Allemagne en dissolution, la cause européenne près d’être perdue par la désunion des princes, par la défection de la Prusse, qui s’était retirée la première de la lutte, par les fautes politiques et militaires de la coalition; il se disait en même temps, il est vrai, que, s’il fallait « faire son deuil de l’empire, » des sécularisations, des biens nobles confisqués sur la rive gauche du Rhin, sa famille ne perdrait rien et trouverait ses compensations dans les biens ecclésiastiques sécularisés.

Au demeurant, le congrès n’avait conduit à rien, si ce n’est au meurtre des plénipotentiaires français. Metternich, à ce moment, avait déjà quitté Rastadt pour retourner à Vienne, assez découragé et dégoûté de ces ingrates négociations. C’était tout au plus pour lui une fausse entrée dans la diplomatie, une médiocre aventure dont il n’avait gardé qu’une impression pénible, avec le désir de rester pour l’instant dans son rôle de simple observateur. Sa véritable entrée dans la carrière ne date que d’un peu plus tard. Lorsque tout avait changé encore une fois, lorsque la campagne de Marengo et de Hohenlinden venait de conduire à la paix de Lunéville, cette paix de Campo-Formio aggravée, lorsque par une métamorphose nouvelle la révolution française apparaissait sous la figure d’un consul brillant de gloire, tout-puissant et déjà près de se faire empereur, M. de Thugut, las de huit années de luttes et de défaites qui avaient coûté à l’empire le Milanais en Italie et la rive gauche du Rhin, avait quitté la scène et avait pour successeur à la chancellerie de Vienne M. de Cobentzel, le négociateur de Lunéville. L’Autriche, réduite à subir une paix à laquelle elle n’avait pu se dérober et dont elle espérait se relever, éprouvait le besoin de se ressaisir, de réorganiser ses relations troublées, de reprendre sa position et son influence par la diplomatie. C’est alors que Clément de Metternich, désigné par l’empereur François lui-même, était entré réellement et définitivement dans la politique active par deux missions qu’il avait successivement à remplir à Dresde et à Berlin, qui étaient les premiers degrés de sa fortune.