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allait être un révolutionnaire fongueux en Alsace et même à Paris. Il avait continué ses études à l’université de Strasbourg, puis à l’université de Mayence, où il recevait les leçons de l’historien Nicolas Vogt. Il avait surtout complété son instruction à Bruxelles auprès de son père envoyé comme plénipotentiaire impérial dans les Pays-Bas au moment des premiers troubles du Brabant. Il avait, en un mot, grandi dans une atmosphère à la fois studieuse et mondaine, sous l’influence des traditions de famille, des habitudes de cour, des mœurs françaises fidèlement imitées au-delà du Rhin, et, comme il le dit, au spectacle de « l’affaissement moral des petits états allemands avant la tempête qui devait bientôt les emporter. » Avant d’avoir vingt ans, celui qui devait être le prince de Metternich avait eu le privilège d’être choisi par l’ordre des comtes catholiques de Westphalie pour le représenter presque coup sur coup au couronnement de l’empereur Léopold en 1790, et en 1792, au couronnement de l’empereur François, dont il devait être si longtemps le conseiller et l’ami. Il avait assisté avec la curiosité d’un jeune homme à ces cérémonies imposantes, un peu surannées, de l’avènement d’un chef du saint-empire, à ces réunions de princes, à ces pompes et à ces fêtes qui animaient, pour quelques jours, la ville impériale de Francfort; mais déjà entre les deux couronnemens, — de 1790 à 1792, — tout s’était singulièrement assombri. La révolution de France grondait de plus en plus et retentissait en Allemagne, agitant les esprits, menaçant les gouvernemens. Les émigrés affluaient dans les villes du Rhin, où ils portaient leur frivolité turbulente, leurs illusions et leurs excitations, promettant aux chefs de la coalition européenne une victoire facile, une marche presque triomphale jusqu’à Paris. La guerre avait commencé en Belgique entre l’Autriche et la France. Les armées de la Prusse se rassemblaient en avant de Coblentz. Tandis qu’on dansait à Francfort, la lutte était engagée non pas pour trois mois, comme le disaient les émigrés, mais pour plus de vingt années.

Aux premiers momens, le jeune Metternich n’avait et ne pouvait avoir aucun rôle. Il avait suivi à Bruxelles son père, ministre de l’empereur dans les Pays-Bas, et il s’était trouvé mêlé à quelques-unes des affaires de la campagne, au siège de Valenciennes. Il avait été aussi envoyé en Angleterre, où il avait trouvé le meilleur accueil dans le monde de Londres et où il avait pu voir les passions belliqueuses d’un grand peuple dans leur premier feu contre la France, le régime parlementaire anglais dans son éclat avec les Pitt, les Burke, les Fox, les Grey. Il n’avait pas tardé à regagner le continent, à rejoindre son père, qui avait dû se replier des Pays-Bas devant les armées françaises, et, avec lui, pour la première fois, en 1794, il avait fait le voyage de Vienne, où il était