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de plier sous la force et de se dégager, habile à déguiser ses ambitions et ses évolutions sous le voile des médiations savantes et intéressées.

C’est cette politique que M. de Metternich est appelé un jour à personnifier au premier rang, et,-par une chance heureuse de sa destinée, il entre dans le jeu des événemens à ce moment unique de 1809, où la fortune napoléonienne touche à son point culminant, où les disgrâces autrichiennes, qui se confondent avec les disgrâces européennes, semblent épuisées. Avant lui, tous les politiques de Vienne qui se sont succédé aux affaires depuis dix-sept ans ont échoué dans tout ce qu’ils ont tenté. M. de Kaunitz, au déclin de l’âge et de son long règne, a quitté la scène en 1792, le monde en 1794, sans avoir rien compris au grand conflit naissant, M. de Thugut, le premier engagé sérieusement dans la lutte contre la révolution française, s’est usé en efforts impuissans pour finir par être réduit à subir la loi du vainqueur à Campo-Formio et à Lunéville. Après M. de Thugut, M. de Cobentzel a cru pouvoir tenter encore la fortune des armes contre le premier consul devenu déjà empereur et n’a réussi qu’à préparer à son pays le désastre d’Austerlitz suivi de la paix de Presbourg, qui ne laisse plus rien subsister de l’ancien empire germanique. Après M. de Cobentzel, M. de Stadion, avec plus de passion que de lumières, a voulu à son tour s’armer pour une guerre nouvelle ; il n’a fait qu’attirer sur l’Autriche le coup de foudre de Wagram, prélude de la dure paix de Vienne, — qui, presque aussitôt, il est vrai, a un supplément extraordinaire dans une alliance dynastique des Habsbourg avec Napoléon. C’est à cette heure de crise, entre la paix de Vienne et le coup de théâtre imprévu du mariage de Marie-Louise, que M. de Metternich est appelé au poste de ministre dirigeant, et il y arrive avec sa jeune ambition, avec un esprit pénétré des traditions autrichiennes et instruit par les événemens, avec l’expérience des cours et une bonne opinion de lui-même qui ne lui a jamais manqué.

Le nouveau ministre qui se trouvait chargé des affaires de l’empire d’Autriche et qui allait en garder la direction pendant près d’un demi-siècle avait trente-six ans. Clément-Wenceslas-Lothaire de Metternich-Winneburg était né le 15 mai 1773 aux bords du Rhin, aux portes de Coblentz, dans un domaine héréditaire dont les maitrès devaient être dépossédés par la révolution française. Il était d’une famille de comtes de l’empire, fils du comte François-George de Metternich, dignitaire de cour, souvent employé à des missions de diplomatie et de gouvernement sous Marie-Thérèse et sous ses successeurs. Il avait commencé son éducation classique avec des précepteurs, dont l’un était un Français qui, peu d’années après,