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Molière fut un comédien et un chef de troupe, heureux, avec toute la France, de servir le roi. C’était un roi de vingt ans, lorsque Molière donna la première représentation de l’Étourdi à Paris ; un roi de trente-cinq ans, lorsque Molière joua le Malade imaginaire et mourut ; et quel roi, depuis cette aurore jusqu’à ce midi de sa fortune ! Également magnifique dans l’exercice de son métier d’homme d’état ou de guerre et dans ses plaisirs ! Ce n’est pas dans les conseils ni sur les champs de bataille que Molière pouvait s’acquitter de son devoir de sujet : il contribua, selon les moyens de sa condition, au divertissement du monarque. Parmi ses récréations publiques, celle que Louis XIV aimait le plus était le ballet : Molière fit des ballets pour ses yeux, et quelquefois pour ses jambes ; aussi pour ses oreilles, sans doute, car ces ballets avaient des récits : c’est même tout ce qui nous en reste, et c’est la plus grande partie des œuvres de Molière.

Les Fâcheux, comédie-ballet, c’est justement le premier de ces ouvrages (1661) ; Psyché, tragédie-ballet, c’est justement le dernier (1671), si l’on néglige la Comtesse d’Escarbagnas et si l’on ne tient pas compte du dessein qu’avait formé l’auteur de composer le Malade imaginaire pour le même objet. Dans l’intervalle, admirez la série : le Mariage forcé, la Princesse d’Élide, l’Amour médecin, Mélicerte, Pastorale comique, le Sicilien, George Dandin, M. de Pourceaugnac, les Amans magnifiques, le Bourgeois gentilhomme… Dansés devant le roi, et quelques-uns par le roi, à Vaux, à Fontainebleau, au Louvre, à Versailles, à Saint-Germain, à Chambord, aux Tuileries, avant d’être donnés au public sur la scène du Palais-Royal, (et tous n’y parviennent pas), ce ne sont que ballets, encore ballets, toujours ballets ! Molière, en somme, fut maître de ballet sous Louis XIV ; voilà ce que nous voyons. Et c’est peut-être trop dire : maître, en effet, il ne le fut pas dans toutes ces réjouissances. Pour les Plaisirs de l’île enchantée, qui durèrent trois jours et dont la Princesse d’Élide forma seulement le milieu — entre une course de bagues et un ballet sans comédie, — le grand inventeur et ordonnateur de la fête fut M. le duc de Saint-Aignan. Et, dans la première journée, où parut le roi lui-même, armé « à la grecque » pour représenter le chevalier Roger, prisonnier de l’enchanteresse Alcine, si Molière prit part à la cérémonie, ce fut pour figurer le dieu Pan sur le haut d’une machine roulante et adresser un compliment de six petits vers à la reine. C’est qu’un tel divertissement n’était pas une solennité médiocre : c’était à la fois un carrousel, un bal costumé, un opéra, une féerie, un festin, que sais-je ? Molière, tout Molière qu’il fût, ne faisait que sa partie dans ce concert d’agrémens. La Princesse d’Élide a été imprimée pour la première fois dans un volume in-folio, dont voici le titre : les Plaisirs de l’île enchantée, course de bague, collation ornée de machines, comédie mêlée de danse et de musique, ballet du palais