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pression venant du dehors. A l’extérieur, elle est inégale, rugueuse comme le sol qui l’entoure, ce qui la dérobe à l’attention des ennemis. A l’intérieur, elle est joliment tapissée comme la demeure elle-même. A une porte une charnière est indispensable, une serrure souvent bien nécessaire. Ces avantages n’échappent point aux industrieuses cténizes. La charnière, formée d’une soie compacte et serrée, offre une incroyable résistance et une élasticité telle que la trappe retombe infailliblement dès qu’elle cesse d’être maintenue. Ce qui tient lieu de serrure ou de verrou paraîtra plus primitif ; c’est une série de petits trous ressemblant à des piqûres d’aiguilles, disposés en cercle du côté opposé à la charnière. La trappe baissée, la fermeture est si exacte qu’on n’introduit pas l’instrument le plus délicat dans l’interstice sans risque de dommage. La recluse peut dormir en paix dans son réduit. Cependant, elle est pourvue de façon à ne point laisser mettre sa vigilance en défaut. Qu’un ennemi cherche à soulever la trappe : aussitôt cramponnée dans son puits, ses griffes enfoncées dans les petits trous du couvercle, elle fera les efforts les plus désespérés pour retenir la porte. Le soir vient ; au crépuscule, ou la nuit au doux clair de lune, l’araignée maçonne sort furtivement de sa retraite et se met en campagne, car il faut vivre ; mais près des rives méditerranéennes elle a d’excellens territoires de chasse et elle n’a guère à craindre les jeûnes prolongés. Repue, elle retourne au logis, et de ses griffes soulevant la trappe en un clin d’œil elle disparait à tous les regards. L’ouvrage de la petite araignée maçonne, vue pour la première fois par Sauvage aux environs de Montpellier, était cité au nombre des plus surprenans chefs-d’œuvre de l’industrie des animaux ; on devait bientôt en découvrir une autre du même genre plus remarquable par les proportions.

En Corse, en Sardaigne, en Italie et jusqu’aux alentours de la ville de Menton, habite une cténize beaucoup plus grande et plus belle que l’espèce du littoral du Languedoc, et de la Provence, la pionnière[1]. Son nid est merveilleux ; construit d’ordinaire dans une argile de la teinte rouge clair qui donne tant de charme aux villes de l’Orient. Avec une profondeur de 1 à 2 décimètres, il a un diamètre de plus de 2 centimètres ; c’est un véritable bijou. Ainsi que les demeures de la petite maçonne, celles de la pionnière sont, en général, rassemblées en nombre tout près les unes des autres ; souvent même, elles sont contiguës. Les premiers admirateurs de l’art des pionnières, l’Italien Pietro Rossi et notre compatriote Victor Audouin, ont été frappés de ces associations ressemblant à des

  1. Cleniza fodiens.