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généralité des araignées. Mais les différens types fournissant l’exemple d’industries, d’aptitudes et de mœurs d’un caractère spécial, il faut donc s’attacher aux histoires particulières.


II

Est-ce à la lisière de la forêt où s’élèvent de beaux arbres, dont les troncs montrent une écorce plus ou moins fendillée, est-ce dans la campagne, où se dresse un mur quelque peu crevassé, en pareils lieux, on peut s’attendre à voir d’intéressantes créatures et à surprendre des scènes curieuses, surtout dans les journées chaudes de l’été, lorsque brille le soleil. De petites araignées sont éparses, quelques-unes réunies en groupes et ne manifestant aucune hostilité les unes contre les autres. Qu’elles sont donc jolies les mignonnes ! D’une vivacité charmante, elles recherchent la plus vive lumière. Elles ont des parties du corps tantôt lisses et brillamment colorées, tantôt ornées de dessins réguliers, élégans, que forme une fine pubescence blanche, jaune ou rouge. L’amateur essaie de s’emparer d’une de ces bêtes gracieuses, mais le voilà désappointé. La petite araignée fait un bond prodigieux ; elle est loin. C’est une sauteuse ; elle appartient au groupe que les naturalistes ont appelé les saltiques. Au milieu des singularités de la nature, on est saisi de certains rapports de physionomie entre des êtres d’organisation fort dissemblable. Ce sont des ressemblances faites sans doute pour tromper un ennemi comme elles trompent un observateur inexpérimenté. Beaucoup de saltiques semblent vêtues du costume des insectes hyménoptères qu’on nomme les mutilles : d’autres espèces ont l’aspect de fourmis. Peut-être, à la faveur de ce déguisement, échappent-elles plus aisément à la poursuite des animaux voraces. Ne produisant qu’une faible quantité de soie, les saltiques s’établissent dans une crevasse de muraille, dans une fissure d’écorce, sous un abri formé par des branchages, et d’un tissu lisse ou floconneux se constituent une loge. Au moment de pondre, la saltique s’enferme dans sa coque ; l’espèce pauvre dépose ses œufs sans autre couverture ; l’espèce un peu plus fortunée les enferme dans un sachet à parois minces et presque diaphanes.

Incapables de tendre des pièges, les saltiques sont des chasseresses qui jeûnent si le temps est mauvais ; sortant de leur retraite quand les jours sont propices, elles se répandent aux alentours. Pourvues d’yeux occupant toute la largeur de la région céphalique, les uns assez petits, les autres d’un volume énorme, avec sûreté elles sondent l’espace, explorant avec lenteur. Un moucheron est-il en vue, l’araignée fond sur la proie avec une rapidité vertigineuse. Rarement elle le manque, tant elle a bien mesuré la distance ; mais