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l’idée d’un échec. La bête s’affaiblissant, il devenait temps d’opérer le sacrifice. Une goutte d’éther lui fit perdre le mouvement sans lui ôter la vie. Alors, immobilisée dans une cuvette remplie d’eau et le cœur mis à découvert, sa paroi fut percée de la pointe d’une aiguille : par l’imperceptible ouverture fut introduite l’extrémité de l’instrument, chargé d’un liquide jaune de chrome. L’injection poussée avec une force modérée, se remplirent de la façon la plus heureuse tous les vaisseaux artériels jusque dans leurs plus extrêmes ramifications. C’était saisissant, merveilleux, comparable à ce qui se voit dans les organismes les plus parfaits. On obtint plus tard d’autres individus vivans de la même espèce : l’étude des veines fut poursuivie ; il fut constaté par quel mécanisme élégant le sang remonte des poches pulmonaires, situées à la face ventrale, au cœur, occupant la face dorsale. C’est un ravissant jeu de pompe foulante exécuté par des instrumens d’une infinie délicatesse et d’une puissance dont aucune machine d’invention humaine ne permet la comparaison.

Les araignées sont en général très fécondes, et pourtant on ne voit pas, en divers pays, leur population augmenter d’une manière sensible. La fécondité est toujours en rapport avec la multitude des dangers qui menacent les individus. Les bêtes habiles à tendre des pièges sont faites, surtout dans le jeune âge, pour tenter la gourmandise des oiseaux et des insectes carnassiers. Toutes, sans exception, pondent des œufs. De ces œufs sortent des êtres ayant déjà, les formes et l’aspect des parens. Mères presque incomparables par les soins, la vigilance, le dévoûment, les araignées ne témoignent de sentiment que pour leur progéniture. Dès l’instant que les petits sont en état de quitter la mère, loin de jamais se rapprocher, ils s’isolent. Tant que la maternité la laisse sans préoccupation, l’araignée ne vit que pour elle-même, étrangère à l’existence de tout autre individu de sa race, qu’elle dévore impitoyablement s’il se trouve à sa portée. Dans un pareil monde, en vérité, il n’y a pas d’amours. On croirait les femelles absolument indifférentes. Un mâle désire-t-il contracter mariage, c’est avec des précautions inouïes qu’il procédera, tant il a conscience d’être mal accueilli. Enfin, s’il est adroit, il y aura une étreinte d’un instant, et, tout aussitôt, profitant de ses jambes, plus longues que celles d’une épouse féroce, il se dérobe au plus vite. Sa faiblesse relative en ferait une victime. Pauvre mâle ! lui, ne connaît pas les joies de la paternité, mais il renouvelle sans doute les courts instans de plaisir, car les deux sexes sont représentés de la façon la plus inégale, les femelles étant dix ou vingt fois plus nombreuses que les mâles.

Les faits qui viennent d’être rapportés s’appliquent à la