Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/417

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’avancèrent les ministres, le fils du pacha de la ville, le pacha étant trop vieux pour venir à notre rencontre, les hauts dignitaires du palais, tout un grand cortège de fonctionnaires et de personnages officiels, qui entourèrent M. Féraud, marchant avec lui, pendant que la troupe se repliait derrière nous pour empêcher la foule de nous envahir. Toutes les musiques militaires jouaient à perte d’haleine, et, dans la diversité de ces cacophonies musicales, apparaissait déjà, comme dans un miroir fidèle, la diversité même de cette armée, composée des élémens les plus disparates, les plus hétérogènes, les plus discordans. Ici, je ne sais quelle fanfare faisait entendre un air de la Norma où les cuivres dominaient ; plus loin, des tambours battaient aux champs à la manière française, tandis que des clairons écorchaient nos sonneries ; plus loin encore, un orchestre jouait le God save the queen ; toujours plus loin, c’était un air espagnol, portugais ou allemand ; parfois enfin, au milieu de tous ces tintamarres européens, quelques petites flûtes aux sons grêles mais perçans, et quelques tarabouts assourdis rappelaient exactement, par leur murmure monotone, qu’après tout nous étions en Afrique et que l’armée qui nous entourait était celle d’un souverain musulman. Il suffisait d’ailleurs de la regarder pour s’en convaincre aussitôt. Le premier bataillon que nous avions rencontré, le bataillon des harabas, c’est-à-dire, mot à mot, des lanciers, et par suite des guerriers, ne manquait ni de tenue ni de discipline. Les harabas, au nombre d’environ huit cents, forment une troupe d’élite dans laquelle on recrute les instructeurs pour le reste de l’armée. Beaucoup d’entre eux ont été envoyés à Gibraltar, où ils ont reçu une éducation militaire européenne. Les autres se sont instruits à l’exemple des premiers. Ils semblaient avoir été vêtus de neuf pour notre entrée : leurs tarbouches aux glands bleus sortaient certainement du magasin, car ils conservaient souvent les morceaux de papier qu’on place au-dessus de chacun d’eux pour les séparer de celui qui suit lorsqu’ils sont empilés chez le fabricant ; leurs babouches jaunes étaient également immaculées ; ils n’avaient naturellement pas de bas ; mais au-dessus de leurs jambes nues, leurs culottes rouges ne manquaient pas de propreté ; leur veste, toujours rouge, était aussi en bon état. Pour compléter cet uniforme, ils portaient de vieux ceinturons anglais auxquels étaient attachées leurs baïonnettes ; on pouvait encore voir distinctement sur ces ceinturons les armes de l’Angleterre et la fameuse devise : Dieu et mon droit. Enfin les fusils des harabas, tous du même type, étaient des armes sérieuses, des carabines Martini en assez bon état. Les harabas exécutaient leurs mouvemens avec une précision et une rapidité tout européennes. A peine fûmes-nous arrivés près d’eux qu’ils se formèrent en carré autour de nous, portant