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entendu dire à Saint-Mandé, parlant au chevalier de Rohan : « Lorsque vous choisirez des chevaux, je vous prie d’en choisir un pour moi. » Quant aux personnages de plus haute naissance et de plus grand crédit que les conspirateurs donnaient comme étant d’accord avec eux, ceux-ci se fondaient seulement, pour en espérer l’adhésion, sur les sentimens hostiles au roi qu’on leur savait.

Au mois de mai de cette présente année 1674, alors que Mme de Villars agissait, le plus qu’elle pouvait, pour rallier à l’entreprise des gens de sa province, elle avait affirmé à la dame de La Haye-le-Comte, qui se trouvait alors avec elle en visite, au château de Tournebus, que dans le délai de trois mois, il y aurait du changement et que le duc de Bouillon, le comte de Matignon et le marquis de Beuvron devaient prendre part au soulèvement. Le premier de ces trois grands seigneurs était le chef d’une maison qui avait été souvent dans un parti contraire au roi. Il avait épousé la célèbre Marie-Anne Mancini, l’amie de La Fontaine. Le comte de Matignon et le marquis de Beuvron appartenaient à la plus haute noblesse de Normandie. Originaires de Bretagne, où ils exerçaient encore une notable influence, les Goyon de Matignon, auxquels étaient alliés les Beuvron, n’avaient cessé de posséder en Normandie de nombreux fiefs et d’importans commandemens depuis qu’un de leurs aïeux s’était, au XVIe siècle, illustré par ses talens militaires et avait obtenu le bâton de maréchal.

Une fois le concert bien établi entre le chevalier de Rohan, Latréaumont et Van den Enden, ils redoublèrent d’activité et leurs conférences clandestines se multiplièrent ; quelques autres personnes y furent appelées. Au procès, Louis de Lanefranc, domestique de Latréaumont, déclara que Van den Enden se rendait, environ deux fois par semaine, de Picus à Saint-Mandé, où il dînait avec le chevalier de Rohan et Latréaumont, auxquels se joignaient parfois le chevalier de Préau et la dame de Villars. Ces conciliabules duraient quatre ou cinq heures. Lanefranc ajouta qu’il avait vu fréquemment Latréaumont et Van den Enden, après avoir dîné ensemble, écrire sur une feuille de papier. Au lieu de se tenir chez Van den Enden, les réunions se transportaient parfois chez Latréaumont, afin de ne pas éveiller les soupçons des pensionnaires de la maison de Picpus. Lanefranc vit, en deux ou trois circonstances, le chevalier de Rohan aller chercher chez lui Van den Enden pour le conduire en carrosse chez Latréaumont, où il le laissait à dîner, puis venir le soir pour le ramener à Picpus.

Dans les entretiens secrets des trois conspirateurs, il n’était pas seulement question d’assurer le succès de l’entreprise ; on discutait encore le plan d’une république à établir en France après que le