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villes maritimes, ouvrages que l’art des fortifications a rendus inexpugnables, nous les ferons attaquer à bout portant par des canonnières armées de petits calibres, qui tireront aux embrasures, tueront les servans des pièces et mitrailleront les arsenaux et les villes. Franchement la conséquence était inattendue, et il eût été plus logique de dire : Puisqu’ils sont inexpugnables, ne les attaquons pas.


V

Si telle était la puissance et tels les effets de ces canonnières nées tout armées dans le cerveau des partisans exclusifs des flottilles, le rara avis serait trouvé ; il n’y aurait plus à discuter sur le futur navire de combat, le problème serait pleinement résolu : par leur vitesse de marche et d’évolutions, libres d’accepter ou de refuser le combat ; par cette même vitesse à l’abri des coups des torpilles portées ; par leur mobilité et leur faible tirant d’eau, à l’abri des coups de la torpille automobile ; certaines, en se réunissant, de réduire tout cuirassé et croiseur, et toute flotte composée de ces bâtimens ; seules capables de battre les arsenaux, les villes maritimes et de forcer au silence les ouvrages inexpugnables qui les défendent : que peut-on désirer de plus ? Sachons nous contenter.

Mais nous sommes dans un siècle sceptique ; on ne veut rien admettre sans preuves à l’appui, ou tout au moins sans la garantie de l’expérience. Il est donc naturel que nous ne croyions pas aux panacées universelles, aux avantages absolus, et que notre opinion soit celle-ci : Dans ce monde, rien n’est parfait ; la meilleure des organisations ne sera jamais que la moins mauvaise ; le meilleur instrument ne sera que le moins défectueux ; ne procédons jamais par des révolutions ; contentons-nous d’améliorations et de réformes ; tout en conservant jusqu’à plus ample informé ce que nous avons, créons tout ce que les circonstances nouvelles peuvent nous révéler comme bon et utile.

On a posé en principe qu’une flottille de plusieurs centaines de torpilleurs et de canonnières remplaçait les escadres de cuirassés comme a expression de la puissance navale » et qu’avec cette force nous serions irrésistibles dans la Méditerranée et invincibles sur l’océan. Supposons que l’ennemi nous combatte avec les mêmes armes ; il prétendra sans doute ne pas s’incliner a priori devant notre déclaration d’irrésistibilité et d’invincibilité. Voilà donc deux flottilles de torpilleurs en présence ; comment combattront-elles l’une contre l’autre, puisque ces torpilleurs n’ont d’autre arme que la torpille automobile et que, par la faiblesse de leur tirant d’eau, ils sont tous invulnérables par rapport à cette arme ? Tout