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Jusqu’à l’événement, plusieurs éventualités resteront à éclaircir sur lesquelles on ne pourra faire que des conjectures, entre autres celle-ci : la lutte des torpilleurs entre eux et contre les canonnières.

L’auteur de la Réforme de la marine pense que les torpilleurs et les canonnières sont actuellement les deux seuls élémens de notre puissance navale ; j’ai cité le passage où il dit qu’avec quelques centaines de torpilleurs et des canonnières, nous serions irrésistibles dans la Méditerranée, et invincibles dans l’Océan. Ces torpilleurs, on les connaît, je me suis assez étendu sur leur compte ; quant à la canonnière désirée, elle est étroite, rase sur l’eau, rapide, ne calant guère plus de 2 mètres (sauf dans la partie arrière formant la cage des hélices, qui descendrait assez pour que les ailes des hélices ne pussent émerger), afin d’être à l’abri des coups de torpilles automobiles réglées à l’immersion de 3 mètres ; elle aurait environ 60 mètres de longueur, 6 mètres de largeur, un ou deux canons de 14 centimètres, plus des canons revolver hotchkiss, des mitrailleuses nordenfeld, et elle serait mue par deux hélices, d’où résulterait une grande facilité d’évolutions ; j’approuve, du reste, ce type. Avec ces deux instrumens de combat on se flatte de satisfaire à toutes les exigences de la guerre navale, on croit être invincible, le mot est écrit. On affirme que plusieurs de ces canonnières, contre un seul bâtiment, suffiraient pour démolir la superstructure des cuirassés, tuer les servans des pièces, mettre les canons hors de service par un coup à la bouche, crever les tuyaux du système hydraulique qui fait mouvoir l’artillerie des tourelles, et réduire le cuirassé à l’impuissance.

Ce serait parfait si tous les coups étaient heureux et si ce cuirassé restait là, comme un dieu Terme, à servir bénévolement de cible à ses ennemis ; mais puisqu’on est si généreux pour les canonnières, je puis bien l’être un peu moi-même pour le cuirassé, afin d’établir un juste équilibre. Ce cuirassé, tout mastodonte et lourd qu’on veut bien le faire, peut avoir une vitesse de 15 nœuds, deux hélices et tourner rapidement sur lui-même ; il peut avoir des canons d’un calibre fort, mais encore maniable, 24 et 16 centimètres, plus un certain nombre de 14 centimètres, ainsi que des hotchkiss et des nordenfeld ; avant d’être à la portée des coups des canonnières, il en aura coulé quelques-unes et en coulera bien d’autres ensuite, soit en les criblant de coups, soit en leur passant sur le corps. Car il se démènera furieusement. Si les canonnières se tenaient dispersées à une certaine distance, leurs petits boulets ne feraient sur lui que comme des coups d’épingles ; mais comme il s’agit de venir lui tuer les servans de ses pièces et ébrécher la bouche de celles-ci, les canonnières devront se grouper autour de lui et le serrer de près. Dans cette situation, négligeant même le tir de ses grosses