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la protection du tube, elle n’est pas encore immergée ; si, dans ce moment, quelque court qu’il soit, la volute d’une lame vient s’abattre devant l’orifice du tube, enveloppant la torpille au moment où elle va plonger dans l’eau, il peut en résulter des inconvéniens que les exercices n’ont pas encore révélés, tel que celui de déranger la direction de la torpille. Et les courans ? faut-il ne pas en tenir compte ? La mer est-elle partout aussi stable que dans la rade des îles d’Hyères, que dans le bassin occidental de la Méditerranée ? Oublions-nous ce vaste système de courans généraux qui embrasse toute l’étendue des océans ? En outre, n’existe-t-il pas, sur toutes les côtes à marée et dans les détroits, des courans particuliers, toujours en mouvement et dont la vitesse, en certains momens, peut aller jusqu’à 10 nœuds, soit environ 5 mètres par seconde ? Nous n’avons pas besoin de sortir de la Manche pour constater de semblables phénomènes, et la Manche, le détroit de Gibraltar, celui des Dardanelles, etc., ne seront pas, je suppose, en cas de guerre, l’arène la moins courue des luttes maritimes. Là, le canonnier dira à l’obus : Pars et frappe, et l’obus frappera ; le torpilleur dira aussi à la torpille : Va et frappe ; et la torpille ira, mais ne frappera pas. Sans doute, il y aura des cas où, les deux adversaires étant influencés de la même manière et dans le même sens par le courant, leur position relative ne sera pas modifiée, mais elle le sera dans d’autres cas.

J’ai dit qu’il n’était pas probable que le torpilleur pût s’approcher à 300 mètres du vaisseau sans avoir été coulé auparavant ; les développemens qui précèdent ont pour but de montrer que, le cas se réaliserait-il, on ne devrait pas, pour cela, désespérer du vaisseau ; la torpille, on l’a vu, peut le manquer, et si elle le manque ou si, à cette distance, elle ne détermine pas sa ruine, le torpilleur est perdu ; certainement il sera atteint. Or toute torpille ne détruira pas nécessairement un bâtiment ; une torpille de fond ou une torpille mouillée, qu’on fait éclater par l’électricité, au moment où un bâtiment passe bien au-dessus d’elle, par son milieu, cette torpille, dis-je, peut tellement disloquer le bâtiment qu’il périsse : mais la torpille automobile n’agit pas ainsi ; elle frappe le bâtiment, non pas sous la carène, mais sur la carène à 3 mètres de la flottaison ; son action peut donc se borner à des dégâts qui, grâce à un système judicieux de cloisons étanches, permettent au vaisseau de flotter encore et de tirer du canon ; il en faudra, peut-être plusieurs pour assurer sa perte, et cette fois positivement, le torpilleur sera coulé lui-même s’il ne l’avait pas été avant de lancer sa première torpille. Ne nous apitoyons donc pas avant le temps et outre mesure sur la destinée d’un vaisseau, cuirassé ou croiseur, en lutte avec un torpilleur autonome.