Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/354

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rencontré ne pouvant appartenir qu’à l’une des deux nations belligérantes, la question à son égard est plus facile à résoudre : s’il n’est pas français, il est ennemi ; or, il ne faut quelquefois qu’un léger indice pour juger si un torpilleur est ou n’est pas national : le lieu de la rencontre pourra même, dans telle circonstance, décider la question, alors qu’il ne pourrait rien faire préjuger de la nationalité d’un bâtiment. Une rencontre fortuite de nuit à la mer, entre un bâtiment et un torpilleur, sera donc une aventure délicate pour tous les deux, mais surtout pour le torpilleur, que l’incertitude sur la nationalité de l’adversaire mettra dans une situation très désavantageuse et pouvant causer sa perte.


II

Montrons maintenant que l’attaque d’un torpilleur autonome, à la mer, ne doit pas préoccuper un bâtiment bien armé, bien commandé, bon marcheur et évoluant bien, autant que le ferait l’attaque d’un bâtiment en tout semblable à lui-même.

Supposons-nous au début de la guerre future : deux ennemis, l’un torpilleur autonome, l’autre vaisseau cuirassé ou croiseur, n’importe, se rencontrent en pleine mer. Chacun devant déployer dans l’attaque et dans la défense autant de soin, de prévoyance, d’habileté et d’intelligence que son adversaire ; le vaisseau, d’après l’usage, et en vertu de la prudence la plus élémentaire, afin d’éviter les surprises et d’en ménager à l’ennemi, aura fait disparaître de son extérieur les particularités qui pourraient donner de trop clairs indices de sa nationalité : il n’aura pas de pavillon, ou il portera celui des pavillons neutres dont la présence dans les parages où il se trouve devra sembler la plus naturelle.

Le torpilleur, ne pouvant juger de loin à quelle nation appartient ce vaisseau, s’en rapprochera pour éclaircir ce point important. On sait avec quel soin se fait, en temps de guerre, le service des vigies : le salut du bâtiment ou le succès des opérations peuvent dépendre de leur vigilance. Le vaisseau, qui aura des hommes exercés dans la mâture, aura connaissance du torpilleur bien avant qu’on ne puisse l’apercevoir du pont. Il se disposera aussitôt à soutenir la lutte, s’il y a lieu, et, dès que les signaux de reconnaissance pourront être clairement interprétés, il se hâtera de les faire, par la raison qu’il est le plus intéressé des deux à savoir promptement à qui il a affaire, vu que, certain de l’infériorité de sa marche par rapport à celle du torpilleur, il sait qu’il ne sera pas le maître de la situation et qu’il lui importe de ne pas se laisser surprendre. En vertu d’un raisonnement contraire, le torpilleur pourra temporiser ; apercevant des signaux dont il n’a pas la clé, et voyant par