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des troupes devant lesquelles avaient parfois reculé les redoutables phalanges égyptiennes. Ce n’est pas de Gargamich que l’on a jamais pu gouverner l’Asie-Mineure, qui en est séparée par toute l’épaisseur de l’Amanus et du Taurus ; mais il ne répugne point d’admettre que, pendant deux ou trois siècles, la ville la plus importante de cette contrée, la seule même qui méritât ce nom, ait été colle dont la vaste et puissante enceinte couronne encore les hauteurs voisines du village de Boghaz-Keui. La Troie de M. Schliemann n’est, en comparaison, qu’une pauvre bourgade ; à Boghaz-Keui, devant ces murs massifs qui ont plusieurs kilomètres de développement, en face de ces grands bas-reliefs où figurent les dieux et les rois de la cité, ses prêtres et ses défenseurs, on devine une vraie capitale.

Plus tard, après le Xe siècle, les tribus qui avaient été longtemps en mouvement se sont attachées au sol ; la péninsule a reçu de nouveaux immigrons, les Phrygiens, venus de la Thrace. Ils se sont établis au centre du plateau, vers les sources du Sangarios ; ils ont fondé Ancyre et Pessinunte. Le royaume lydien s’est ensuite -constitué dans les vallées de l’Hermos et du Méandre ; Sardes est devenue une place de premier ordre. A la même époque, la côte se couvrait de colonies grecques ; on sait à quel haut degré de prospérité parvinrent, par exemple, Milet et Sinope. Dans cette Asie nouvelle, l’antique capitale du royaume cappadocien ne pouvait rester ce qu’elle avait été autrefois ; la décadence avait dû commencer pour elle bien avant que Crésus, vers 560, la prît et la détruisit. Elle ne parait pas s’être jamais relevée : elle disparut de l’histoire sans même y laisser son nom ; mais la civilisation qu’elle avait inaugurée et dont elle avait longtemps été le centre ne saurait avoir péri tout entière. Selon toute apparence, c’est à elle que remontent ces cultes panthéistiques de l’Asie-Mineure, qui ont un caractère si particulier, et dont la trace se retrouve jusqu’en terre grecque, à Ephèse, ces rites orgiastiques auxquels présidaient, comme à Comana, à Zéla, à Pessinunte, des prêtres-rois entourés d’eunuques et de milliers d’hiérodules des deux sexes. La Phrygie n’a peut-être fait qu’emprunter à la Cappadoce, où ces cultes et ces rites persistèrent jusqu’aux derniers jours de l’antiquité, les types d’Atys et de Cybèle, de la grande déesse mère, que l’on adorait sous divers noms, et dont l’Artémis d’Ephèse n’est qu’une des formes secondaires. Dans ces panathénées barbares qui se déroulent, en une longue frise, sur les parois du sanctuaire de Boghaz-Keui, on devine des croyances qui, par leur principe et par leurs manifestations, rentrent dans la catégorie des religions que l’on a coutume d’appeler phrygiennes. Les Hétéens avaient eu une