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tribut à Sargon ; mais, depuis lors, un examen plus attentif a rendu plus vraisemblable une autre conjecture. D’une part, on a trouvé des inscriptions en lettres dites cypriotes jusqu’en Troade, à Hissarlik, dans des couches de débris qui paraissent remonter à une très haute antiquité. D’autre part, certains des caractères de l’alphabet cypriote figurent dans divers alphabets provinciaux de l’Asie-Mineure, à côté de ceux de l’alphabet phénicien, qui ne suffisait pas, avec ses vingt-deux lettres, à représenter tous les sons de ces langues. On entrevoit donc un temps où les signes dont nous avons la série et la forme primitive dans les inscriptions hamathéennes ont été en usage dans toute la péninsule ; si ceux-ci ne se sont maintenus à l’état de système homogène et complet, que dans la seule île de Cypre, ils ont laissé ailleurs des traces sensibles de leur ancien empire, auquel a mis fin la rapide victoire de l’alphabet phénicien. Or ce dernier a commencé son tour du monde bien avant que Sargon et Assourbanipal, par leurs conquêtes, eussent fait sentir l’influence de la civilisation assyrienne jusque dans les îles et les presqu’îles que baigne la Méditerranée. Toute comparaison des écritures mise à part, il n’est donc pas vraisemblable que l’alphabet asiatique, comme l’appelle M. Sayce, ait attendu, pour se constituer, le moment où a eu lieu le contact entre l’Assyrie, pourvue du syllabaire cunéiforme, et les différens peuples de I’Asie-Mineure. L’écriture que ceux-ci avaient adaptée aux articulations de leurs divers idiomes est née beaucoup plus tôt, dans la Syrie septentrionale, ou peut-être en Cappadoce ; puis elle s’est répandue de proche en proche, non sans subir en route des modifications qui l’allégeaient et la rendaient plus commode. On ne saurait assigner de date certaine aux siècles qui ont vu s’accomplir cette diffusion et ce progrès ; ils sont placés en dehors des limites étroites de notre chronologie ; mais, ce qui n’est pas douteux, c’est qu’ils correspondent à la période de la prépondérance hétéenne, à cet âge reculé pendant le cours duquel les cris de guerre poussés sur les bords de l’Oronte allaient retentir jusque dans les vallées de l’Hermos et du Méandre.

L’alphabet cypriote n’est pas l’alphabet hétéen ; il n’en est qu’un dérivé ou, pour mieux dire, une réduction, un extrait. M. Sayce a compté, dans l’écriture hétéenne, environ cent vingt-cinq signes distincts ; l’alphabet cypriote en a au plus une soixantaine. Tous les caractères cypriotes représentent des syllabes, tandis que, parmi ceux des inscriptions d’Hamath, il y en a certainement bon nombre qui étaient des idéogrammes. Restes et témoins de la période toute primitive où l’écriture n’était que la peinture des objets, ces idéogrammes n’ont point passé dans les alphabets de formation secondaire ; on n’y a fait entrer que des signes phonétiques, et, ceux-ci,