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courte trêve ; bientôt toute la Syrie se soulevait derrière le vainqueur, et la lutte continua, pendant quinze ans, jusqu’au moment où les rivaux, épuisés, se décidèrent à poser les armes. On a le texte authentique du traité ; par malheur, il est assez mutilé. Champollion l’a trouvé à Karnak, gravé sur une grande stèle. Il est daté de la vingt-cinquième année du règne. La convention stipule une paix éternelle ; égalité et réciprocité parfaite entre les deux peuples, alliance offensive et défensive, extradition des criminels et des transfuges, telles sont les conditions principales de cet acte international, que l’on peut considérer jusqu’à présent comme le plus ancien monument de la diplomatie[1].

Une alliance de famille vint bientôt resserrer ces liens d’amitié. Ramsès épousa la fille aînée du prince de Khiti, et, un peu plus tard, en l’an 33, invita son beau-père à visiter la vallée du Nil ; à l’occasion de ce voyage, on érigea à Thèbes une stèle où le prince syrien est représenté en compagnie de sa fille et de son gendre. Ce ne fut pas sans un étonnement mêlé de reconnaissance que l’Egypte vit ses ennemis les plus acharnés devenir ses alliés les plus fidèles, « et les peuples de Kîmit n’avoir plus qu’un seul cœur avec les princes de Khiti, ce qui n’était pas arrivé depuis le temps du dieu Râ. » Sous Ménephtah, l’entente se maintient ; mais bientôt ses successeurs, faibles souverains sans prestige, évacuèrent la Syrie ou du moins n’en gardèrent que les districts méridionaux.

L’Egypte était réduite à la défensive. Une confédération nouvelle s’était formée, où dominaient des tribus qui venaient du fond de l’Asie-Mineure ; il ne parait pas que, cette fois, les Khiti en fussent les chefs ; mais, de gré ou de force, ils avaient suivi le flot ; tous ces peuples se ruaient sur la riche proie qui leur semblait promise. Ce fut sur la frontière même, près de Peluse, que Ramsès III, le dernier des grands souverains de l’Egypte, attendit l’ennemi ; la civilisation et la discipline triomphèrent une fois encore de la barbarie ; les envahisseurs furent repoussés. Ramsès rentra vainqueur en Syrie ; mais, menacé, à l’ouest du Delta, par les Libyens, il n’alla pas chercher vengeance sous les murs de Cadech. Il lui suffit, ainsi qu’aux derniers Ramessides, de garder dans sa dépendance les Philistins et les Phéniciens. Dès lors l’Egypte, vieillie et fatiguée, cesse, pour plusieurs siècles, de s’intéresser aux événemens qui s’accomplissent derrière les monts de la Judée.

Il semblait que cette abdication de l’Egypte laissât le champ libre

  1. On trouvera la traduction complète de ce traité, par de Rougé, à la suite de l’ouvrage d’Egger intitulé : Études historiques sur les traités publics chez les Grecs et les Romains, 1860, in-8o, p. 243-252.