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avaient séparé leur cause d’une cause ingrate et vaincue. Cette sage conduite porta ses fruits. On les admit d’abord à l’honneur de verser leur sang pour sa majesté très fidèle, le roi de Portugal, allié catholique du roi d’Angleterre. Puis on leur concéda des avantages moins dérisoires, et, en 1780, les lois Gardiner leur rendirent leurs droits civils, dont le plus important était celui de posséder la terre. Dans un pays où le pouvoir politique est uni à la propriété foncière, le catholique, en devenant propriétaire, devait du même coup devenir électeur et éligible. Le ministère anglais et son chef, William Pitt, ne reculaient pas devant cette conséquence logique des prémisses posées en 1780. Nul n’est obligé d’aimer William Pitt ; nul n’est tenu d’admirer un ministre dont le génie consiste à s’être cramponné vingt ans au pouvoir. Mais, dans la question religieuse, il n’a manqué ni de pénétration, ni de justice, ni de bonne volonté. Il comprenait vaguement que le catholicisme est, dans l’époque moderne, la première et la plus puissante des forces conservatrices, et il songeait à l’utiliser dans sa lutte contre la révolution. Le parlement irlandais n’osa pas le suivre dans cette voie. Grattan, s’élevant, — ce n’est pas pour lui un mince honneur, — au-dessus des intérêts de secte et de parti, s’écria éloquemment : « Le moment est venu de décider si nous serons une colonie protestante ou si nous serons la nation irlandaise ! » Mais Fitzgibbon, avec une lucidité cruelle, montra la question agraire se levant derrière la question politique. La majorité numérique opprimerait, annulerait la minorité. Les catholiques n’étaient rien : ils seraient tout. Ils n’avaient jamais accepté leur spoliation comme définitive. On se transmettait de main en main la carte d’Irlande divisée entre les anciens propriétaires du sol, et les pères léguaient à leurs fils, par testament, ou donnaient en dot à leurs filles des domaines d’où leurs ancêtres avaient été chassés par la violence cent cinquante ans auparavant. Le parlement n’entendit que trop bien ces raisons. Une loi fut votée en 1792, qui admettait les catholiques au barreau ; une autre, en 1793, leur octroya l’électorat politique, mais leur refusa l’éligibilité, et on s’arrêta là.

Les dates que je viens d’écrire sont significatives. Elles indiquent qu’un nouvel élément s’était introduit dans la situation. Je n’ai point à raconter quelle néfaste influence exerça alors sur l’Irlande notre révolution. A l’effervescence de la jeunesse ultra-libérale et des classes ignorantes se mesura l’effroi des classes riches et de l’aristocratie foncière. Catholiques et protestans s’unirent, mais comme ils ne devraient jamais s’unir, dans un égal oubli de leurs croyances et dans le fanatisme jacobin. La direction passa des orateurs aux conspirateurs. Le vide se fit autour du parlement. La petite phalange qui combattait autour de Grattan fondait de session