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attendant l’heure de glisser avec les autres un vote vénal. Ou bien encore, avec votre accent vulgaire, singeant les allures et jusqu’aux souffrances de lord Chatham, vous tâchiez de reconquérir votre popularité perdue. Et vous planiez sous le dôme, oiseau de mauvais augure, au cri sépulcral, à l’aspect cadavérique, au bec ébréché, prêt à fondre sur votre proie. Tenez, monsieur, personne n’a confiance en vous. Le peuple ne vous croit pas, les ministres ne vous croient pas : vous avez trompé tout le monde. Où étiez-vous quand on votait l’impôt sur les sucres ? Où étiez-vous quand on votait le blocus de nos ports ? .. Ah ! je vous le dis, à la face du pays, à la face du monde : vous n’êtes pas un honnête homme ! » Flood demeure un moment comme anéanti. Puis il se lève, écumant, balbutiant, il veut parler, le speaker lui interdit la parole. Même dans cet orageux parlement, au milieu d’hommes habitués à la lutte, la fureur de ce duel oratoire épouvantait. On mit les deux adversaires en prison pour les empêcher de se battre sur l’heure.

Flood chercha à s’appuyer sur les volontaires, qui étaient devenus un embarras et un danger. La guerre était finie, la liberté conquise, et ils restaient en armes, plus nombreux, plus bruyans que jamais. Grattan essayait de leur faire entendre raison par des allégories. Il les comparait à « un millier de torrens qui se précipitent du haut d’un millier de collines et se réunissent dans la plaine. Leur miroir reflète un moment l’image de la constitution britannique. Puis les eaux s’écoulent, les torrens cessent, la rivière clapote paisiblement dans son lit, et les enfans du village jouent autour des mares, dernière trace de l’inondation. » Mais la rivière refusait de rentrer dans son lit et mugissait au lieu de clapoter. La fièvre du galon, qui est endémique chez les Celtes, était à son paroxysme ; elle gagnait jusqu’aux évêques. On les avait tant adulés, les volontaires ! Les femmes leur brodaient des drapeaux ; les plus grands seigneurs se disputaient le privilège de leur verser à boire ; leur général, avec cette platitude qui caractérise les chefs élus, leur avait dit : « L’Europe tient les yeux fixés sur vous, elle vous vénère ! » Ils se réunirent une seconde fois à Dungannon. Cette fois, ils ne se contentaient plus de formuler les griefs particuliers de l’Irlande ; ils commençaient à fabriquer des axiomes généraux, à maximer pour le genre humain. Enfin trois cents de leurs délégués, régulièrement élus, vinrent en grande pompe ouvrir à Dublin une réunion solennelle, où fut délibéré, article par article, un plan de réforme parlementaire. Comme Robespierre portant à la tribune de l’assemblée les motions des Jacobins, Flood, en grand uniforme de colonel des volontaires, introduisit le plan de réforme, sous forme de projet de loi, dans la chambre des communes. Yelverton, l’ancien