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d’un club armé, se réunissait à jours fixes, prenait des résolutions, les transmettait aux autres corps et les faisait imprimer dans les journaux. Enfin, une sorte de parlement militaire se réunit à Dungannon et adopta un manifeste dont la teneur avait été préparée, de concert, par Flood, Charlemont et Grattan, et différait peu de la déclaration d’indépendance rejetée par le parlement.

La convention de Dungannon, — on ne peut s’empêcher de tressaillir en voyant ce terrible nom entrer pour la première fois dans le vocabulaire politique, — était un dangereux exemple pour l’avenir et un acte révolutionnaire au premier chef. On ne s’en aperçut point, parce qu’on était dans cette ère paradisiaque des illusions où tout semble innocent et pur, et aussi parce que les événemens ne laissèrent point le temps de réfléchir. La capitulation de lord Cornvallis avait porté un coup fatal au ministère North ; les whigs, amis de Grattan, arrivaient au pouvoir. L’Angleterre passait, comme il lui est arrivé plus d’une fois, d’une sécurité hautaine à une panique désordonnée. Après l’Amérique, allait-elle perdre l’Irlande ? À ce moment, le parlement de Dublin rentrait en séances, au milieu de quelle fièvre et de quelle attente, on le devine. Les tribunes étaient pleines de femmes parées et de volontaires en uniforme. Grattan prit la parole au milieu d’un de ces silences qui préparent les âmes aux émotions profondes. Il rappela d’abord l’œuvre de » dernières années : « J’ai trouvé l’Irlande à genoux, et j’ai veillé sur elle avec sollicitude ; j’ai suivi ses pas de la servitude aux armes et des armes à la liberté. Esprit de Swift, esprit de Molyneux, vous avez triomphé ! L’Irlande est maintenant une nation. C’est sous ce nom que je la salue et que, m’inclinant devant l’auguste image, je lui dis : Esto perpetua ! »

Ensuite il rendit hommage aux volontaires. « Qu’y a-t-il en d’admirable dans ce mouvement ? Est-ce le nombre des volontaires ? Est-ce leur courage, leur promptitude à réprimer le désordre, leur discipline irréprochable ? Non. Tout cela est beaucoup, mais il y a plus encore. Est-ce l’union de toutes les intelligences, de toutes les fortunes, l’intimité établie entre les maîtres du sol et ceux qui le cultivent, l’accord des protestans et des catholiques ? Non, il y a plus encore : il y a la modération d’hommes ligués pour obtenir leur droit et rien de plus. Car il n’y a point ici de basse rancune contre la Grande-Bretagne, de sourde sympathie pour la France. C’est une nation qui se lève et réclame son héritage de liberté pour en jouir en paix avec l’Angleterre, sa sœur… Comme toutes les institutions humaines, les volontaires disparaîtront lorsqu’ils auront rempli leur rôle. Après avoir donné un parlement au peuple, ils