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établit, je ne dirai pas pour la punition, mais pour la réglementation du meurtre et la police de l’assassinat, un tarif de compensations en nature. On entrevoit une manière de collectivisme féodal dans l’état de choses sanctionné par la loi Brehon, et cette forme bizarre de la vie sociale attend encore son historien.

Avec les Tudors tout change : le pouvoir de la métropole recommence à se faire sentir et à se faire craindre Henry VII imagine, pour rétablir l’ordre en Irlande, un système mixte, moitié gothique, moitié moderne, qui caractérise curieusement l’époque. Il délègue à une grande famille, aux Fitzgeralds, la représentation de l’autorité souveraine ; mais leur pouvoir est limité par les lois Poynings. L’une rend exécutoires en Irlande les bills votés dans le parlement anglais, et l’autre soumet à la censure préalable du conseil privé d’Irlande et du conseil privé d’Angleterre, toute mesure législative discutée dans le parlement de Dublin. Telles sont ces fameuses lois Poynings, contre lesquelles se déchaîneront, au XVIIIe siècle, tant de patriotiques colères, et dont l’abrogation, en 1782, prendra les proportions d’une révolution constitutionnelle. Elles n’étaient, aux yeux jaloux du premier des Tudors, que des freins à l’omnipotence des vice-rois : elles devinrent, avec le temps, les lisières à l’aide desquelles on retint l’Irlande dans une éternelle enfance.

Le fidéicommis politique des Fitzgeralds dura jusqu’au jour où ils embrassèrent contre la métropole la cause du catholicisme ; ce jour-là, Henry VIII les brisa. Du moment que le roi avait proclamé sa suprématie religieuse, ses sujets catholiques étaient réputés rebelles. Entendre la messe était un acte de haute trahison, car c’était faire acte d’allégeance à un prince italien qui, sous le nom de pape, s’arrogeait le droit de déposer les rois d’Angleterre. Voilà la doctrine, et l’application suit. Il ne s’agit pas de convertir, mais de punir. Un vice-roi, sous Elisabeth, ayant réclamé des clergymen pour prendre la place des prêtres proscrits, on le rappelle durement à l’ordre ; on lui défend de faire du prosélytisme. Dès lors le caractère de la répression s’explique. Quand Desmond et Tyrone se soulèvent, on noie leur révolté dans le sang, on change leur pays en désert.

Derrière le soldat marche le spéculateur, qui traîne à sa suite le légiste ; à une ère de massacres succède une ère de chicanes. Ce qu’on n’a pas eu le temps d’arracher par la violence, on le confisque par toutes sortes de duperies légales. Les juges d’Irlande n’étaient pas inamovibles comme leurs confrères de la métropole. Ils occupaient leurs charges « aussi longtemps que c’était le plaisir du roi, » ou, suivant une formule plus hypocrite, « aussi longtemps qu’ils se conduisaient bien : during good behaviour. » On devine que ces magistrats rendaient autant de services que d’arrêts, ils