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conservateurs, catholiques ou protestans, étaient à peu près en nombre égal. Ni les uns ni les autres n’avaient une majorité réelle et ne pouvaient prétendre au gouvernement ; ils ne réussissaient qu’à se neutraliser. C’était la raison d’être du ministère de M. Heemskerke, qui a pris depuis quelque temps le rôle de modérateur, qui a vainement essayé dans ces derniers mois d’obtenir par transaction une révision constitutionnelle devenue nécessaire, et qui, ne pouvant arriver à rien, a fini par être obligé de recourir à des élections. Dans la chambre telle qu’elle est composée aujourd’hui, telle qu’elle est sortie du récent scrutin, la proportion des partis s’est un peu modifiée. Les libéraux ont gagné quelques voix ; les conservateurs ont essuyé des échecs, et particulièrement à La Haye, dans la résidence royale qui, depuis vingt-cinq ans, ne nommait que des députés conservateurs, un des hauts dignitaires de la cour, M. de Schimmelpenninck, n’a pu réussir à se faire élire ; on attribue son échec à une alliance trop intime avec les cléricaux, qui se sont obstinés à décliner tout compromis au sujet des droits de l’enseignement religieux. À la vérité, à prendre les élections hollandaises dans leur ensemble en totalisant les votes, on pourrait remarquer un phénomène singulier : les conservateurs ont obtenu un plus grand nombre de suffrages que les libéraux ; mais cette particularité s’explique tout simplement parce que, dans les provinces catholiques, où ils n’ont aucune chance, les libéraux s’abstiennent le plus souvent, et là où ils sont sûrs d’avance du succès, ils ne mettent pas un grand zèle à se rendre au scrutin. En réalité, quelle que soit la répartition numérique des voix, l’évolution de l’opinion, sans être bien vivement accentuée, est assez apparente. Les libéraux ont sept ou huit voix de majorité dans l’assemblée nouvelle sortie des dernières élections. Logiquement, ils pourraient être appelés à prendre le pouvoir. Le ministère de M. Heemskerke, cependant, n’a pas paru jusqu’ici disposé à se retirer. Il n’a pas été battu, puisque c’est pour avoir résisté aux conservateurs qu’il a été conduit à la dissolution. Il paraît attendre la réunion des chambres fixée au 14 juillet, et peut-être ne désespère-t-il pas de pouvoir reprendre la révision constitutionnelle avec l’appui des libéraux. Il n’est pas certain qu’il ait cet appui aussi aisément qu’il le croit, et, dans tous les cas, il y a une autre question qui commence à s’élever : on se demande si les libéraux, maîtres de la majorité, ne voudront pas faire d’une réforme électorale la préface de la révision de la constitution.

La politique, à travers toutes les affaires qui occupent ou agitent les peuples, a parfois ses tragédies. Il n’est certes rien de plus étrange et de plus sombre que cette catastrophe royale qui vient d’émouvoir la Bavière, que cette destinée du roi Louis II, qui a perdu la vie après avoir perdu la raison. En peu de jours la fatalité a fait son œuvre et clos le drame : le dénoûment même reste un mystère. Peu de princes