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au sujet de « la proposition tendante à établir un corps législatif en Irlande pour soumettre les affaires de ce pays à une administration distincte de celle des affaires de l’Angleterre. » Ainsi la reine a tout à la fois notifié sa volonté de dissoudre le parlement, précisé l’objet de tette dissolution et délimité pour ainsi dire le terrain sur lequel s’engage la lutte qui va se dénouer dans quelques jours.

On n’avait pas d’ailleurs attendu le signal officiel pour se préparer au combat, pour ouvrir le feu de toutes parts, en Irlande, comme dans les autres contrées du royaume-uni, et le chef du ministère lui-même, avec son inépuisable fougue, n’a point été des derniers à se jeter dans la mêlée. M. Gladstone, après avoir siégé dans treize parlemens, comme il le dit, se retrouve tout prêt à briguer une quatorzième élection, et bien entendu, ce n’est pas pour sa satisfaction personnelle, c’est pour la cause à laquelle il a dévoué ses dernières forces, c’est pour assurer la victoire d’une politique qu’il revient au combat, « à une période de la vie où la nature crie après le repos. » L’étrange et puissant vieillard ne s’est pas borné à publier un manifeste où une fois de plus il a rassemblé tout ce qu’il a pu dire sur la politique irlandaise dont il s’est fait l’initiateur, sur le bill qu’il a vainement essayé de faire accepter par la chambre des communes. Il a recommencé sa campagne du Midlothian ; il est allé à Edimbourg, où il a retrouvé les ovations populaires qui l’accompagnent toujours. Il est allé aussi à Manchester, à Liverpool, à Glasgow, semant les discours sur son passage, réchauffant et ralliant les libéraux, portant la guerre au camp de l’opposition. C’est un tacticien habile. Il se garde bien de proposer aux électeurs un plan précis et coordonné, de se laisser entraîner à des explications qui pourraient être dangereuses ou compromettantes. Il demande au pays la sanction d’un principe libéral. Il place ses adversaires en face de l’éternel dilemme : « … Ou notre plan à nous qui est de donner à l’Irlande, à des conditions bien raisonnées, le droit d’administrer ses propres affaires,.. ou l’autre plan, celui de lord Salisbury, qui est de demander au parlement de nouvelles lois répressives pour les appliquer pendant vingt ans, au bout desquels on espère que l’Irlande sera devenue assez sage pour supporter la mesure de liberté qu’on lui octroiera… » M. Gladstone, avec toute son éloquence, avec toute son habileté et son ascendant sur l’opinion, a cependant, il ne faut pas s’y tromper, affaire à forte partie. S’il n’avait pour le combattre ou pour lui résister que des chefs d’opposition comme lord Randolph Churchill, qui se laissait aller récemment à de brutales ou humoristiques invectives, il en triompherait probablement sans grand effort ; mais il a devant lui d’autres adversaires de toute sorte, conservateurs, libéraux dissidens, radicaux : lord Salisbury, lord Hartington, M. Goschen, M. Trevelyan, M. Chamberlain, M. Bright lui-même, qui ont publié eux aussi leurs manifestes, qui n’hésitent pas, quelques-uns