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qu’il ne savait pas où il allait, qu’il commençait par les princes, qu’il serait fatalement entraîné à d’autres violences par les excitations de parti, par les hasards de la guerre, M. le président du conseil s’en défendait vivement. C’était pourtant facile à prévoir. A peine M. le Comte de Paris avait-il quitté la France, M. le garde des sceaux est arrivé tout effaré au Palais-Bourbon avec un premier projet contre les manifestes et placards séditieux. Par exemple, on ne sait plus dans quelle langue le projet est écrit, et depuis quelques années la France est réduite au plus singulier galimatias législatif. L’autre jour, la loi des princes contenait d’abord un article qui ne signifiait rien ou qui disait le contraire de ce qu’on voulait dire. Aujourd’hui, M. le garde des sceaux nous parle de « l’exposition publique des manifestes et placards séditieux ; » il nous parle avec atticisme dans ses commentaires d’un « prétendant dont la déclaration de guerre peut avoir la prétention de s’étaler sur les murs. » Qu’est-ce que tout ce baragouin positivement humiliant ? La protestation de M. le Comte de Paris a visiblement produit son effet et troublé les esprits. N’importe, l’intention y est, et du premier coup le projet de M. le garde des sceaux a provoqué un ardent duel de parole entre M. Paul de Cassagnac, mettant le gouvernement en face de ses contradictions, et M. Clemenceau, protégeant avec quelque hauteur le ministère. Le plus curieux serait que, pour ménager les radicaux, on en vint à interdire simplement et spécialement les manifestations princières. Et à quoi tout cela peut-il conduire ? Quand on prohiberait sous toutes les formes ce que peut écrire M- le Comte de Paris, quelle amélioration en résulterait-il dans la situation qu’on a créée ? Si le pays tout entier souffre dans ses intérêts, dans sa sécurité morale, dans sa paix civile, dans ses industries, est-ce que les princes y sont pour rien ? C’est uniquement la faute d’une politique qui a tout gaspillé, tout violenté, tout compromis, et si on voulait sérieusement défendre ou relever la république, on ne le pourrait plus évidemment que par un courageux retour à une politique faite pour raffermir tout ce que les républicains ont ébranlé depuis quelques années.

A chaque nation ses crises et ses affaires. Depuis le jour où le bill sur l’Irlande, malgré les efforts de M. Gladstone et de ses amis, a échoué devant la chambre des communes, on peut dire que la dissolution du parlement d’Angleterre était un fait acquis, que la campagne électorale était ouverte. C’était entendu entre le gouvernement et les partis. Le dernier mot, le mot décisif n’avait pas été dit encore cependant ; il vient d’être dit, il n’y a que peu de jours, par la reine dans le discours qui a clos définitivement la session et la législature, qui a été lu devant ce qui restait des représentans du pays à Westminster. La reine a déclaré ses intentions souveraines, intentions concertées, naturellement avec ses conseillers, en les motivant par la nécessité ou la convenance de s’assurer des sentimens de son peuple,