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attitudes qui sont de tous les temps. La grâce noble et languissante avec laquelle s’avance l’Orphée de M. Tony-Noël, balançant, dans un rythme doux, sa haute taille, nous reporte, au contraire, aux jours charmans de la renaissance florentine. Si ce bel Orphée, d’un mouvement si souple, a quelque parenté, c’est dans la famille de Donatello et de Verocchio ; l’alliance n’est pas de celles dont on puisse rougir.

L’influence du formidable Michel-Ange ou de ses successeurs inégaux est au contraire assez visible chez MM. Lanson, Ferrari, Peynot. Tous trois sont des pensionnaires anciens ou actuels de la Villa Médicis ; ils ont tous trois pris à Rome le goût des compositions héroïques et de la sculpture mouvementée. Le modèle de Judith de M. Lanson avait déjà paru, il y a quelques années, au Salon. En se transformant en marbre, ce groupe n’a rien perdu des qualités vigoureuses qui le signalèrent alors à l’attention. M. Lanson a voulu, comme dans son Age de fer, s’y montrer, avant tout, un praticien robuste et capable de tailler, sans sourciller, dans les plus beaux blocs de marbre des corps superbes de géans. Il regarde en avant et non en arrière de Michel-Ange. C’est la force physique qui l’attire, une force musculeuse, exubérante, abondante en saillies, celle des athlètes de Bandinelli et de Giovanni Bologna, bien plus que la force nerveuse, contenue et sèche, des héros de Donatello. Son Holopherne, étendu sans vie derrière la Judith, la tête pendante sur un coffre grossier, montre le torse noueux et la face bestiale d’un belluaire assommé durant l’ivresse. La Judith, debout et droite, lui tournant le dos, soulève de la main gauche, avec une sorte de dégoût, l’épée qui vient de frapper au nom de Dieu. L’attitude est grandiose et le geste expressif, malgré quelques inutiles exagérations dans la raideur agitée des draperies trop pesantes. M. Peynot, plus jeune que M. Lanson, arrive de Rome. Les deux morceaux qu’il expose le classent du premier coup parmi les plus habiles tailleurs de marbres et témoignent d’études très complètes. A d’étonnantes qualités d’exécutant M. Peynot joindra-t-il la conception poétique et le sentiment de la beauté sculpturale sans lesquels il n’est point de grand artiste ? L’avenir répondra. Qu’il nous suffise aujourd’hui d’admirer comme ils le méritent ces deux morceaux de bravoure, où l’artiste s’est efforcé de démontrer, comme à plaisir, qu’il savait également obtenir du marbre des effets violens et des effets délicats, qu’il comprenait aussi bien la forme humaine dans ses efforts les plus violens que dans sa plus complète immobilité. Dans la Proie on voit deux hommes nus, deux géans, enlacés dans une lutte désespérée, à propos d’un aigle que l’un d’eux veut ravir à l’autre. L’oiseau farouche se débat de son côté mêlant des grands coups de