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cependant, restèrent plus faciles à imiter dans leur prédilection première pour les formes tendres et grêles de l’adolescence que dans leur entente des compositions monumentales. On put même craindre, un instant, que leur goût commun pour l’assouplissement élastique des formes et pour l’intervention, plus ou moins prononcée, de l’élément pittoresque dans l’arrangement plastique ne déterminât autour d’eux un engouement excessif et exclusif dans ce sens, qui eût abouti, comme toujours, à une décadence rapide. Pendant quelques années, en effet, on vit plus que de coutume les adolescens de bronze et les fillettes de marbre se mêler, dans le jardin du palais, au chœur accoutumé des hommes mûrs et des femmes faites. On put aussi remarquer dans certaines figures des tendances plus ou moins conscientes à faire disparaître la solidité de la construction osseuse sous le brillant de l’enveloppe épidermique, comme à se contenter de l’apparence séduisante du frétillement coloré au détriment des réalités nécessaires de l’équilibre et des profils. Toutefois, cette surprise et cette hésitation ne furent pas de longue durée ; grâce aux exemples constamment donnés par d’autres maîtres tels que MM. Guillaume et Chapu, grâce aux enseignemens de l’École nationale des Beaux-Arts et de l’Académie de France à Rome, le bon sens de tous nos sculpteurs a rapidement pris le dessus. Presque tous comprennent avec une justesse étonnante la mesure dans laquelle la sculpture peut concilier la tradition technique et l’innovation expressive, les nécessités de l’harmonie plastique et l’expression de la vie réelle.

Le nombre est assez grand des jeunes artistes épris d’un idéal grandiose qui, n’ayant point l’occasion d’exercer leurs ambitions dans des monumens publics, choisissent spontanément des sujets allégoriques et décoratifs pour y développer plus à l’aise leur goût des formes belles et puissantes. Tous y combinent, dans des proportions diverses, les souvenirs de leurs études, d’après les maîtres de l’antiquité, de la renaissance italienne et du XVIIe siècle français, avec leur intelligence particulière de la nature vivante ; presque tous le font avec une conscience et un tact qui conserve à leurs œuvres un caractère bien national, quelle que soit d’ailleurs la somme de talent qu’ils y aient pu mettre. M. Longepied, l’auteur de l’Immortalité, est un de ceux qui vont s’inspirer le plus directement aux sources françaises. Sa belle Gloire, au visage doux et régulier, si chastement drapée, qui, soutenant d’une main le jeune homme agonisant, lui montre de l’autre sur une tablette les noms des jeunes héros, soldats ou artistes, tombés avant lui au champ d’honneur, est une sœur tardive, mais légitime, des nobles muses de Lesueur et de Poussin. Le corps nu du jeune homme, ferme et