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sens de la réalité, donne à ses conceptions cette force de communication claire et vive qui marque les œuvres supérieures. Personne, dans la génération actuelle, n’a repris, avec cette franchise et cette spontanéité, nos plus hautes traditions nationales, où le respect loyal de la vérité s’unit à la vigueur saine de l’imagination plastique.

Tout le monde sait que l’un des premiers et l’un des plus heureux promoteurs du mouvement de retour qui s’est produit depuis vingt ans dans la sculpture française, vers la simplicité des formes et vers l’expression vivante, a été M. Paul Dubois. Avant M. Antonin Mercié, c’est dans un commerce intime avec les Florentins du XVe siècle qu’il a d’abord appris la valeur de l’attitude nette, du geste sobre, de l’accessoire significatif ; mais, comme son jeune successeur, il n’a traversé Florence, la ville de clarté, que pour apprendre à mieux voir dans le génie français. Les belles figures assises, popularisées par le bronze et la gravure, qui veillent, dans la cathédrale de Nantes, aux angles du tombeau de Lamoricière, marquaient déjà, à cet égard, une volonté d’affranchissement. La statue équestre du Connétable Anne de Montmorency, érigée sur la plate-forme du château de Chantilly, a été l’occasion pour M. Paul Dubois de ressaisir, avec une énergie savante, la tradition française du XVIe siècle et de se mesurer à distance, dans un sujet qui les eût séduits, avec les fiers et délicats artistes dont il sent revivre l’âme en lui, Bullant, Goujon, Germain Pilon. Ce n’était point une figure facile à ranimer et à remettre en selle que celle de ce vieux connétable, vaillant et fier, rude et magnifique, aussi opiniâtre dans ses fidélités que dans ses haines, aussi généreux pour les artistes que dur pour les huguenots, homme de tête dans les mauvaises comme dans les bonnes fortunes, que les disgrâces et les désastres semblaient grandir plus qu’abaisser, un des types les plus fortement marqués de cette vieille noblesse française, en qui s’unissait souvent aux abnégations sublimes du héros l’étroitesse rapace du paysan. Ce connétable de fer, le constructeur des châteaux de Chantilly et d’Ecouen, a laissé de lui plusieurs images au Louvre, entre autres le célèbre portrait en émail par Léonard Limousin et son effigie couchée, par Barthélémy Prieur, débris du magnifique monument élevé en son honneur dans l’église de Montmorency. Le musée d’artillerie a conservé l’une de ses armures et la bourguignote, percée de la balle qui lui fracassa la mâchoire à sa dernière bataille, la bataille de Saint-Denis. Malgré l’abondance des documens, ou plutôt à cause même de cette abondance, la difficulté n’en restait pas moins grande d’exprimer nettement et fidèlement un personnage si complexe. En outre, le sculpteur avait à tenir compte de la place que devait occuper le personnage sur