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monument funéraire qu’on lui avait commandé cette année, comme si la destinée eût voulu préparer, par un long exercice de la tristesse, l’âme ardente du noble sculpteur à supporter la violence du coup dont elle allait le frapper si cruellement à son tour. Le groupe tombal, le Roi Louis-Philippe et la Reine Amélie, le travail de marbre le plus important du Salon, est digne de l’auteur du Gloria victis et de l’Alsace, et continue la série de ces œuvres puissantes par lesquelles M. Mercié s’est mis au premier rang de nos sculpteurs. Le roi se tient debout, la tête nue, en frac d’uniforme et culottes courtes. Ses épaules sont chargées d’un grand manteau fleurdelisé qui traîne à longs plis derrière lui. Calme, grave, il pose la main gauche sur l’épaule de la reine qui se tient agenouillée à son côté, en prières et les mains croisées. L’exactitude des visages est étonnante. Ary Scheffer, dans son beau portrait de la reine Marie-Amélie, qui est son chef-d’œuvre, n’a pas donné à cette douce et vénérable physionomie, malgré toutes les ressources de la peinture, plus de résignation, plus de dignité, plus de simplicité, plus de bienveillance que ne l’a fait, dans le marbre froid, le ciseau pénétrant du sculpteur. Tous les détails, en apparence si peu plastiques, de la toilette moderne : les papillotes en tire-bouchons, le bonnet de dentelles, les manchettes flottantes, les volans de la robe, n’ont pas un instant troublé sa main sincère et ferme. Comme les vaillans tailleurs d’images, qui cuirassaient sur leurs tombes les mestres de camp armés de pied en cap, sans oublier un ardillon de leurs courroies ni un clou de leurs jambières, et qui habillaient les grandes dames de leurs robes de brocart, en comptant tous les points de leurs collerettes empesées, M. Mercié n’a voulu chercher aucun effet, dans la représentation de personnages réels, en dehors de la plus scrupuleuse vérité. Les deux figures sont calmes ; elles ne sont pas tristes. La tristesse est moins pour ceux qui meurent que pour ceux qui restent. C’est la pensée que M. Mercié, avec la force ordinaire de son imagination poétique, a exprimée en jetant, derrière les deux personnages en vue, une femme éplorée, un ange aux grandes ailes, qui, assise sur le sol, le dos tourné au roi et à la reine, retenant d’une main mal assurée l’écusson fleurdelisé, s’affaisse, fermant les yeux, dans les plis du manteau et de la robe. Cette figure allégorique est exécutée avec la liberté puissante et contenue que M. Mercié apporte en ces sortes de choses ; l’expression en est aussi digne que douloureuse. Moins importante que le groupe principal, cachée, pour ainsi dire, dans son ombre, elle s’y relie et s’y rattache, pour le compléter et pour l’expliquer, avec la persistance lente et discrète d’une réflexion douloureuse qui devient inséparable de certains souvenirs. L’aisance avec laquelle M. Mercié se meut dans la sphère héroïque et idéale, sans y perdre jamais le