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allégoriques. Le poète est étendu sur son lit funèbre, au-dessus du sarcophage. Dans la paroi supérieure, entre les deux colonnes, apparaissent, en bas-relief, deux figures volantes dont l’une apporte une couronne. On remarquera que M. Morice, dans un entourage du même genre, avait représenté Voltaire, non pas couché et mort, mais assis et vivant. Il semble que le spectacle sans pareil des funérailles de Victor Hugo ait si fortement impressionné tous les artistes qu’ils n’en puissent écarter, même un instant, le souvenir. Aucun d’eux ne songe à revoir le poète créateur dans la plénitude de sa vie et dans le rayonnement de sa pensée. L’immortalité qu’ils lui apprêtent tous n’est qu’une immortalité d’agonie ou de corruption.

MM. Dalou et Pallez n’ont pas, à cet égard, d’autres visées que M. Charles Morice. Le projet de M. Dalou n’est qu’une ébauche sommaire, presque informe en quelques parties, mais dont les indications suffisent pour montrer l’esprit. Le morceau principal est toujours le fit mortuaire, couvert de fleurs, dans lequel gît le cadavre. Pour mieux accentuer la réalité de ce lit, le sculpteur ne l’a pas appliqué au mur dans sa longueur ; il l’a posé de face, en largeur, les pieds en avant. Cette saillie excessive ne se trouve nullement justifiée par la timidité froide de l’arcade classique, d’un relief beaucoup moindre, qui forme le fond du monument. S’il y a un contraste voulu entre cette image rigide du poète mort et les apparitions agitées de ses œuvres, toujours vivantes, qui se groupent sur les fûts et la corniche, ou qui s’entremêlent dans le tympan central, c’est un contraste opéré sans ménagemens, par juxtaposition, non par composition, et qui ne paraît pas devoir produire l’effet attendu. En outre, dans ce projet, il y a contradiction formelle et choquante entre la régularité sèche de l’architecture et la liberté exubérante de la sculpture. On ne doit pas attacher trop d’importance à une maquette modelée en hâte, sous le coup d’une forte émotion ; néanmoins, comme M. Dalou est aujourd’hui l’un de nos sculpteurs les plus en vue, on ne saurait trop tôt le mettre en garde contre les entraînemens de son étonnante facilité. Le moindre danger de cette facilité, c’est de donner sans cesse au sculpteur des tentations de peintre. Pour qui manie l’argile avec cette dextérité, l’argile, fondant sous les doigts, devient bientôt une matière presque aussi souple et fluide que la couleur. Comment résister au plaisir d’en user de la même façon ? Cependant, l’expérience des siècles le démontre surabondamment : rien n’est plus dangereux que cette confusion de la sculpture et de la peinture, de l’effet plastique et de l’effet coloré. Si les deux arts sont comme deux sœurs qui se doivent appui et conseil, ce sont cependant deux sœurs bien dissemblables par le tempérament et