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donc à la « simple nature. » À force d’entendre discuter sur les vibrations et les résonances, ils avaient fini par se persuader que l’harmonie était l’affaire des mathématiciens et non la leur. Les traités de Rameau tombèrent en oubli. On avait tant répété que le musicien n’a qu’à chanter comme le rossignol dans la forêt, et il est si commode de croire que le travail n’est bon qu’à étouffer l’inspiration et le génie ! L’inspiration, elle coulait pure et charmante en ces premiers printemps de notre opéra comique ; combien de sources vives dont, avec un peu d’artifice, on pouvait féconder le cours ! Grimm dit, de Rameau, qu’il avait des idées, mais qu’il ne savait qu’en faire. Tous ceux qu’il loue le plus volontiers, Duni, Philidor, Monsigny, Grétry lui-même, sont-ils à l’abri du reproche ? ils ont suffi à la fortune de l’opéra comique, soit ; mais à côté de l’opéra comique, n’y avait-il pas place pour d’autres manifestations d’un art national ? La symphonie, la musique de chambre nous étaient-elles interdites ? Les pièces de clavecin de Rameau, ses ouvertures pittoresques n’étaient-elles point un premier pas à la rencontre de Haydn et d’Emmanuel Bach ? Rameau, dit encore Grimm, aurait pu créer la musique dans son pays. Tel est aussi notre avis ; mais qui donc nous a dissuadés de tirer meilleur profit de ses leçons ? Si ce n’est point Voltaire, c’est bien assurément Rousseau et ses adeptes. Jamais la critique ne fut maniée par des esprits plus déliés qu’au dernier siècle ; jamais elle n’eut plus beau jeu que dans la controverse musicale. La musique française, faisant ses premiers débuts au milieu d’une société raffinée à l’excès, s’y trouva face à face avec une philosophie armée de toutes pièces qui prétendit la faire marcher, de prime abord, au même pas que la littérature et les beaux-arts. Comme tous les fruits tardifs, elle a porté longtemps la peine de ce vice d’origine. Ce qu’il y avait d’idées justes, — et il y en eut beaucoup, — dans l’esthétique des philosophes, n’allait pas à sa taille ; on ne voulut ni compter avec sa nature, ni lui passer ses enfances, ni lui chercher ses véritables modèles. Faut-il s’étonner, après cela, si elle n’a pas tenu toutes ses promesses ?

Ce que ce déplorable malentendu entre l’art et la littérature nous a fait perdre de terrain, on le devine quand on remarque avec quelle curiosité attentive l’Allemagne avait suivi le premier essor de notre musique nationale. Le débat entre l’opéra français et l’opéra italien soulevait chez nos voisins des polémiques ardentes, et c’est à notre tragédie lyrique que Haendel et Telemann donnaient hautement la palme. Chaque nouvel ouvrage de Rameau était, dès son apparition, signalé et analysé dans la Critica musica de Mattheson. Les jugemens qu’en porte le musicologue de Hambourg ne pèchent pas par excès d’indulgence ; c’est tout au