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pions. À voir l’espace qu’elle couvrait et le peu qu’occupait le village à côté d’elle, on sentait bien que c’était là une demeure seigneuriale remplie de vassaux, à la fois citadelle, lieu de réunion, siège du véritable pouvoir qui dominait le pays. Nous allâmes, dans l’après-midi, rendre visite au caïd, et cette impression devint plus vive encore. On nous introduisit d’abord dans une cour arabe au milieu de laquelle coulait un jet d’eau. Cette cour servait d’écurie ; les chevaux du goum y étaient attachés, les deux jambes de devant entravées, restant là à la belle étoile, sans autre toiture que le ciel. Toutes sortes de bagages étaient entassées dans les coins ; des femmes lavaient dans le bassin du jet d’eau, d’autres lissaient des étoffes sous une sorte de hangar ; des serviteurs se pressaient à leur besogne ; il y avait là une vie, un mouvement, qui indiquaient une vaste agglomération d’hommes. Nous ne devions pas visiter toute l’habitation, qui, outre le logement des femmes, en contient assez d’autres pour donner asile à des centaines de guerriers. On nous fit monter dans le salon de réception, composé de deux salles longues réunies entre elles par une porte en ogive d’une véritable élégance : la première était réservée au personnel de la maison ; dans la seconde, où on avait disposé, le long des murs, des coussins à notre usage, le cheik Embarek était accroupi sur une sorte de grand matelas. Il suffisait d’entrer dans cette chambre, toute imprégnée de l’odeur de la fièvre, pour être convaincu que ce n’était pas par mauvaise volonté que le vieux cheik n’était pas venu à notre rencontre ; on en était plus persuadé encore dès qu’on l’avait aperçu lui-même. C’était un vieillard encore très droit, qui eût été beau s’il n’eût point été ravagé par la maladie : le contraste entre son teint, plus jaune encore que celui de son jeune fils, et la blancheur de son turban et de sa barbe, était singulier ; ses yeux brillaient d’un vif éclat, mais ce n’était ni l’éclat de l’intelligence, ni celui de la santé. Il ne put même pas se lever pour nous accueillir, quoique son sourire indiquât une véritable bienveillance. À peine fûmes-nous assis, qu’on nous porta toutes sortes de vivres dans d’énormes plateaux, et qu’un grave personnage commença l’opération du thé avec tous les raffinemens de propreté et tous les détails odorans que j’ai déjà décrits. Mais ce qui nous intéressa beaucoup plus, ce fut l’arrivée d’un groupe de cavaliers qui rentraient de je ne sais quelle expédition. Chacun d’eux s’avança à son tour vers le cheik, en faisant une première inflexion, puis, en se prosternant auprès de lui et en baisant ses genoux ; le cheik, posant paternellement sa main sur leur épaule ou sur leur front, leur adressait quelques paroles qu’ils écoutaient toujours dans la même position. Mais tout cela se passait sans obséquiosité, sans bassesse, avec une simplicité qui avait