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Tout a un but. Quelle que soit la théorie qu’on adopte pour expliquer l’origine des êtres, on sera toujours forcé de reconnaître qu’il y a une finalité à tout ce qui est en nous, organes ou fonctions des organes. Pour notre part, nous croyons que cette finalité est due à la sélection, qui a permis de vivre à certains êtres, et qui a anéanti tous les autres. Ceux-là ont vécu dont les sentimens étaient adaptés aux conditions d’existence, tandis que ceux dont les sentimens, ou émotions instinctives, ne protégeaient pas la vie, ont succombé dans la lutte.

Plus on étudie les conditions générales de la vie des êtres, — et rien n’a plus d’attrait que cette étude, — plus on voit que tout en eux se conforme à une loi générale, qui est la loi de vivre. C’est une loi impérieuse qui domine tout. Il semble que tous les animaux aient reçu l’ordre, la consigne pour ainsi dire, de vivre et de perpétuer l’espèce. Et alors toutes les fonctions, tous les actes, toutes les émotions, viennent se grouper autour de cette tendance rigoureuse, inexorable, qui est le vrai mobile, et le mobile unique, de toute action d’un organisme vivant.

Vivre, voilà la loi. Mais, pour vivre, il faut être protégé contre les ennemis, les obstacles, les périls de toute espèce. Les émotions sont chargées de cet office. Aussi toutes les émotions répulsives sont-elles émotions de protection.

La douleur est une émotion protectrice, car elle nous avertit de l’état de nos organes, empêche leur usure, leur fatigue, leur épuisement ; elle nous avertit des blessures et des objets qui peuvent blesser. De même, le dégoût nous montre où est le poison, où est l’animal immonde ; c’est encore un instinct de protection. La peur nous montre où est le danger ; et de plus elle nous donne la haine du danger ; elle nous force à fuir ce danger : c’est, comme la douleur, comme le dégoût, un instinct de protection.

Et, en vérité, nous avons besoin d’être protégés. S’il n’y avait que notre intelligence, livrée à elle-même, pour nous avertir du danger, nous serions bien souvent en péril, et notre existence serait étrangement raccourcie. Un homme, au détour du chemin, se trouve tout à coup en face d’un lion qui rugit, montre son immense gueule aux crocs acérés, et fouette l’air de sa queue. Est-ce que l’homme va faire les raisonnemens suivans ? « Ce lion est un carnassier qui mange les hommes ; donc il va essayer de me manger ; donc ce qu’il y a de mieux à faire, c’est de m’enfuir. » Vraiment non, notre homme ne construira pas tous ces excellens syllogismes : il les fera plus tard peut-être, quand il se sera mis en lieu sûr ; mais tout d’abord, avant de réfléchir, il aura peur, très peur, et il se sauvera en toute hâte.