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danger sa pâleur et son tremblement. Car ni la pâleur ni le tremblement ne peuvent être empêchés par la volonté, si énergique qu’on la suppose. Turenne tremblait : il n’était pas un lâche assurément. Le brave Bailly, conduit à l’échafaud, tremblait peut-être de froid ; mais la peur y était aussi pour quelque chose, je m’imagine ; et il serait bien sot de s’en indigner.

Il y a donc deux sortes de bravoure : la bravoure de l’individu qui n’a pas peur, — celle-là est facile et peu méritoire ; — et la bravoure de l’individu qui a peur.

Celui qui n’a pas peur est fort heureux ! Que sa bravoure soit naturelle, ou conquise par l’habitude, il ne s’inquiète pas des dangers qui le menacent. Il conserve son sang-froid. Il est maître de lui. Il ne tremble pas. Il ne pâlit pas. Son cœur ne bat pas plus vite ou plus lentement que de coutume. C’est un brave.

Mais celui qui pâlit et qui tremble, et dont le cœur bat avec force, tumultueusement, avec une grande angoisse tout intérieure, peut être un brave, lui aussi. Il a grand désir de s’enfuir, de se soustraire au danger ; il sent une émotion profonde l’envahir, et cependant il reste à son poste, résolu, calme en apparence. Sa pâleur seule et son tremblement décèlent l’anxiété qui le ronge. Qui aura le droit de refuser à celui-là l’honneur d’être un brave ? À mon sens, il sera plus brave que tout autre. Mais, quoique j’aie grande estime pour lui, j’aurai peu de confiance ; car son effort d’héroïsme peut tout à l’heure être vaincu, et la vertu, si belle qu’elle soit, est moins solide que l’absence d’émotion.

Quant à celui qui, pris de peur, s’enfuira à toutes jambes, certes celui-là n’est pas un brave, et son éloge n’est pas à faire. Mais il faudra être indulgent pour lui. Qui sait si l’on n’aurait pas pu, avec quelques paroles d’encouragement ou d’enthousiasme, ou bien en l’habituant au danger, vaincre sa sensibilité native ? Pour les faiblesses humaines il faut être pitoyable : — c’est là, je crois, la clé de la sagesse. — Les plus braves ont sans doute eu aussi leur moment de défaillance ; et, s’ils ne l’ont pas eu encore, un jour viendra, peut-être, où, surpris par une émotion violente, soudaine, irrésistible, ils ne seront pas assez forts pour triompher d’eux-mêmes.


VI.

Quelle est la raison d’être de la peur ? D’où vient-elle ? Pourquoi cet étrange et odieux sentiment a-t-il été par la nature imposé à l’homme et aux animaux ?

Disons-le tout d’abord. Aucun des sentimens naturels n’est vain.