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pouvoir pour l’arrêter : il est conduit au lieu de conduire. Ainsi l’a dit un poète :

Ce n’était pas Rolla qui gouvernait sa vie,

C’étaient ses passions ; — il les laissait aller,
Comme un pâtre assoupi regarde l’eau couler.
Elles vivaient ; — son corps était l’hôtellerie

Où s’étalent attablés ces pâles voyageurs.

Heureux ceux dont la volonté est assez forte pour résister à l’émotion involontaire et empêcher que l’acte suive fatalement l’émotion ! Ceux-là sont les énergiques, les puissans, les braves.

Quelquefois cette absence de volonté est poussée si loin qu’elle constitue presque une véritable maladie mentale. C’est ce qu’on a nommé l’aboulie, ou impuissance de vouloir. Chez beaucoup d’aliénés, on voit la maladie commencer par ce symptôme. Les hystériques notamment sont presque toujours incapables de résister : elles se laissent mener par la passion et la fantaisie, que ce soit amour ou haine, dégoût ou frayeur. Le moi volontaire a abdiqué.

La volonté est une véritable force psychique qui peut être accrue, diminuée ou abolie. Et même elle est très fragile. Il suffit d’une dose faible de poison pour anéantir cette propriété de résistance. Un peu d’absinthe, ou d’alcool, ou de hachich, et l’émotion règne en souveraine sans rencontrer de résistance. J’ai raconté ici même ce qu’il m’advint un jour après avoir pris du hachich. Un de mes amis voulut me piquer avec une épingle pour savoir si ma sensibilité tactile était altérée ; mais j’en ressentis une telle frayeur que je me mis à ses genoux, tout éploré, en le suppliant de ne pas m’infliger ce cruel martyre. Nulle volonté dirigée par la raison n’existait plus en moi pour mettre un obstacle à l’émotion psychique.

Quelque efficace que soit chez certains hommes le pouvoir d’arrêt sur les mouvemens de la vie extérieure, la volonté ne va pas jusqu’à arrêter les mouvemens organiques. Le soldat qui entend siffler les balles peut à la rigueur ne pas baisser la tête. Il peut, par un effort de volonté, ne pas s’enfuir, quoiqu’il en ait grande envie. Il ne pourra pas s’empêcher de trembler, de pâlir, d’avoir de grands battemens de cœur, avec une sueur froide par tout le corps. Sur ces actes réflexes, viscéraux, la volonté est sans prise. De même qu’on ne peut s’empêcher de rougir, ce qui est parfois fort incommode pour les très jeunes gens, de même on ne peut s’empêcher de pâlir. Cela est tout à fait indépendant de nous. La pâleur de la face, indice manifeste de terreur, ne peut être combattue, et il serait bien injuste de reprocher à un individu qui court un grand